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Elisabeth Baillon, encres brodées

Elisabeth Baillon plonge vers les abîmes du passé pour nous inviter dans un espace aux références subtiles. Sa démarche s’engouffre dans un itinéraire féminin ponctué de trois périodes où la broderie s’affirme comme fil conducteur. Elle traduit explicitement une construction par strates influencée par deux piliers fondamentaux ; sa famille qu’elle fait revivre sous forme de recherche généalogique et un lieu chargé d’histoire, une forteresse sublime située sur le Larzac qui sera restaurée pendant 35 ans par l’artiste et son mari. Son sol calcaire, sa pierre sont les socles inspirants qu’elle reporte sur toile sous forme d’impression cartographique.  La mise en perspective et en profondeur rappelle le processus de sédimentation. Elisabeth Baillon circonscrit les territoires de son mental pour offrir une lecture, point par point, en surface comme en souterrain. C’est un jeu entre le visible et l’invisible, une couche en cache une autre.  

La maison hantée, technique mixte, 2013, 1024 x 768 m
La terre se lie au corps ; l’ornement topographique devient organique. Une véritable armure d’ossatures et de sutures trace une carapace territoriale.
« J’aime cet aspect géographique et architecturé. Mon travail me fait voyager à une échelle minuscule. C’est une virée personnelle à l’intérieur de la chambre, à la découverte de  nouveaux lieux. »
Elisabeth Baillon part d’un dessin reporté sur une toile de bâche, puis celui-ci est ombré, griffé à la plume, d’encres acryliques. La broderie l’entoure, l’enveloppe de sa matière laineuse. Des  photographies sérigraphiées sur le tissu y sont piquées, contrastant par leur réalisme à  l’onirisme de l’œuvre.
La chaînette fine et régulière  renforce le contour, lui sert d’écriture. Elle est  réalisée à l’aide d’une machine à broder détournée par elle de sa fonction industrielle. Son agilité et sa précision lui permettent tous les mouvements, toutes les arabesques. Chaque tournant créé un relief que l’artiste souligne avec esthétique. Le résultat nécessite que l’on s’approche, que l’on touche, que l’on caresse pour laisser se révéler la matière. Les lignes sont autant de nervures qui se dissipent pour parvenir au détail.
« Je suis fidèle depuis plus de cinquante ans à cette machine. Elle fait beaucoup de bruit mais j’aime ce cliquetis bruyant qui m’isole et m’entraîne vers des rêveries vagabondes. Cela me protège du bruit des autres et m’ouvre à la création dans toute son intériorité. » 
L’introspection, la psychanalyse, la recherche de soi, la mémoire, sont les valeurs auxquelles l’artiste s’attache et qui lui permettent de renouer avec son histoire, percer le secret de son passé. La mélancolie n’est jamais absente. 

Marie, la délicieuse, technique mixte, 2013
« J’ai été très marquée par la sœur de ma mère, ma marraine qui faisait de la broderie. Sa vie fut très malheureuse. J’ai eu envie de ressusciter cette femme, de restaurer son image, de donner des lettres de noblesse à ses ouvrages de dame. »
L’ardeur formelle de son dispositif plastique est animée du désir de piquer sans se faire mal. C’est même une quête du plaisir autour de l’amour de la matière, du désir de la bouleverser, de sublimer sa métamorphose qui  transforme la personne. Les toiles sont narratives, chargées de sens mais peuvent s’appréhender librement sans clés de lecture.
Le calque, délicatement posé sur la scène reconstruite, fragmentée, donne naissance à une autre réalité.  La vision est onirique, presque surréaliste, la poésie prise en filature. L’œuvre foisonnante d’Elisabeth Baillon est un patchwork émotionnel d’images mentales où les ramifications et les surfaces de projection touchent notre intime au plus profond. Elle réveille une mémoire collective un peu endormie, à l’ère du tout numérique et de ses nombreux avatars.