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Hervé Malgorn travestit les archétypes

Certains pourront penser que l’art d’Hervé Malgorn est hérétique et blasphématoire d’autres pourront comprendre qu’il combine subtilement et avec dérision les récits pour dénoncer les contradictions du monde d’aujourd’hui.

They're fucking jealous of my shoes ! 2014, technique mixte, 67 x 94 cm
Sa dernière série CatéSchisme s’appuie sur l’imagerie religieuse catholique à partir de documents anciens ;  des dessins, des photographies, des tirages héliographiques des 19ème  et début 20ème siècles de peintures et autres documents en noir et blanc reprenant certains passages de la Bible. L’intention d’Hervé Malgorn est de détourner le sens et l'intention originelle de l’image en insérant des collages. Il appose pour cela méthodiquement des images issues de magazines «vintage», des Paris Match des années soixante, soixante dix. C’est aussi un fervent cinéphile et collectionneur d’affiches du cinéma d’hier, en particulier lorsqu’elles sont dessinées.  Ses collages reprennent cette imagerie « revival » avec des tissus, parfois des objets, de la peinture acrylique, des crayons gras, des pastels, des feutres et même quelques phylactères ou autres encarts narratifs.
L’artiste cherche l’image qui pourrait faire sens autour de l'idée. Il propose une version revue et corrigée des Ecritures tout en abordant des thématiques contemporaines propres à notre quotidien.
La force de son collage réside dans sa brutale juxtaposition d’éléments étrangers. Des auréoles gay au dessus de Marie et Elisabeth pour mimer une demande en mariage, des Stilettos rose bonbon proposés au Christ qui semble vouloir les chausser… Plus la distance entre les éléments est grande, plus elle amplifie l’intérêt de leur confrontation.
Hervé Malgorn ne juxtapose pas deux images mais se sert de l’une comme support à l’autre ; le collage devient infiltration.
« Je détourne ces images pour soutenir un point de vue, qui bien souvent peut aller à l'encontre du discours dominant de certaines doctrines. Le mariage pour tous ou le droit à l'avortement sont des sujets d'actualité qui nous montrent à quel point le religieux et le sociétal sont encore liés dans l'inconscient collectif. Mon intention est de faire réfléchir, de faire rire aussi. On peut par l’humour d'autant mieux révéler les enjeux et les raisons de ces résistances au changement. Le rire aide à la remise en question des systèmes très anciens de rapports de domination qui ont eu pour conséquence d'exclure la majeure partie de la population comme les femmes ou les homosexuels (…) Je pense qu'un jour nous arriverons à vivre sur une planète où il n'y aura plus d'importance à naître homme ou femme, où l'égalité sera de fait entre les personnes et où changer de genre (sans nécessairement passer sur une table d'opération) sera possible, si besoin est, comme c'est déjà le cas dans certaines communautés africaines et d'ailleurs, depuis longtemps... »
Décalées, kitsch, provocantes et drôles, les œuvres d’Hervé Malgorn s’amusent avec les codes et les stéréotypes religieux pour dénoncer et bousculer les consciences.
« L'art tel que je le pratique et le ressens est engagé dans la société de notre époque. J'aspire à faire passer un message accessible…Voire quasi publicitaire dans mes compositions. »
L’entreprise de l’artiste n’est pas de choquer mais d’embarquer le spectateur sans le laisser en chemin. Son propos est nourrit de connaissances et de références mais pourtant intelligible immédiatement. C’est dans cet écart intuitif que se glisse l’écoute et le regard, la réflexion et le questionnement.
The proposal, La demande en mariage, 2014, technique mixte, 57 x 68 cm
« J'ai toujours eu une foi profonde, assez déconnectée cependant des doctrines et croyances que l'on me transmettait au catéchisme…Une foi déjà plus universelle et très en lien avec la nature, les éléments, la vie comme elle va. Mes études d'anthropologie, mes voyages m’ont permis de cultiver un syncrétisme assumé et revendiqué car je crois que tout cela se rejoint. Les enseignements philosophiques, spirituels originels parlent principalement des mêmes choses, ici et là, depuis des millénaires. La "chose religieuse", qui d'une certaine manière a façonné le monde dans lequel nous vivons, depuis des lustres, nous ramène vers des questions sur nos origines, nos fondements au-delà des doctrines liées à telle ou telle institution religieuse favorisant plutôt la séparation que l'union...»
Sa démarche n’est pas une farce empreinte de provocation. Sur les traces de l’enfant terrible de l’art contemporain Maurizio Cattelan avec La nona ora (la dernière heure du christ) ou encore du très controversé Piss Christ du photographe américain Andres Serrano, Hervé Malgorn construit sa propre identité picturale, à la fois classique et contemporaine. Il est aussi le passeur et le transmetteur d’un certain symptôme générationnel qui convoque les formes rémanentes d’une société aux archétypes ancrés pour faire surgir la contestation, comme un symptôme de résistance. Il travestit le propos radical en sarcasme engagé et ironique. Sa transgression vertueuse se fonde sur une authentique critique sociale destinée à fabriquer la vertu du délit d’initié.
En imbriquant l’intime et le questionnement social et religieux, il questionne la liberté. Par la captation du sensible, un pur moment de relation au monde, une temporalité s’approchant du réel et de sa complexité, l’artiste bouleverse nos peurs en les dévoilant et les mettant à nu. Sa démarche est une sorte d’activisme artistique vital.