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Patrice Claude, dynamique virtuelle





Il élargit son champ artistique et renouvelle son discours dans un environnement où tout est numériquement échantillonné et recomposé. A l’aide de trois logiciels distincts Patrice Claude retravaille ses photographies prises par ses soins où dénichées en libre accès sur le Web. Cette matière numérique lui sert de base qu’il retravaille ensuite sur tablette numérique.

L’interaction entre le paysage et le programme

Sa matrice créative se compose de prises de vue de la nature, de plages mais aussi d’éléments urbains tels que des ponts ou des portes. A l’aide du stylet, l’outil graphique des années 2000, l’image incarnée est passée au crible des filtres numériques. Elle se dissout et évacue hors du réel tout signe pour alimenter la dimension abstraite. Elle se transforme en une quantité impressionnante de données, de nombreux pixels qui décomposent l’image en puzzle. L’espace environnant s’ouvre, se régénère. La lumière, la couleur se modifient dans une transition entre espace physique et espace fictif.  Cette Fusion Critique* où la fiction se mêle à la réalité n’augmente pas l'illusion mais la rend plus lisible. Patrice Claude propose une nouvelle représentation du monde. En inscrivant ses propres actions digitales, il change la procédure narrative dans un nouvel espace où les pistes se brouillent, se superposent, donnant la possibilité de zoomer et s'immiscer aux confins du plus petit pixel.

L’expérience perceptive

Cette autre manière de regarder convoque l’œil du regardeur. Les lignes étirées, torsadées parfois rompues procurent des effets d’optiques. Les gestes s’additionnent. L’artiste augmente puis élague selon l’arrivée des données sans cesse redistribuées. Une fois l’absorption accomplie, des fragments autonomes naissent des espaces multiples. Ce sont des stries, des faisceaux lumineux, des volutes, des tâches… Cette codification signalétique désigne une technique incarnée ; une véritable empreinte digitale. L’œuvre devient ainsi un support qui se laisse investir de nombreuses sensations à multiples détonations. Le travail de Patrice fait apparaître une diversité d’explorations qui multiplie les voies par la forme, le mouvement, la lumière et la couleur. 

Nouvel encodage chromatique

A travers ces larges territoires de réalisation, l’œuvre se lit tel un patchwork remixé. Le contraste coloré se dilue dans une riche nébulosité où le procédé d’imbrications et de délimitations semble répondre à l’aléatoire. De nouvelles valeurs chromatiques s’intègrent procurant une dimension physique, immédiate. Cette palette ultra-vive et lumineuse témoigne de l’attrait inné de la couleur de l’artiste.
Parfois des effets de combustions jaillissent comme si les couleurs se volatilisaient pour engendrer quelque chose de plus qu’une addition de couleur.
Cette exultation colorée nous happe vers une interrogation concernant le fond et la forme. Les valeurs diverses de la palette usent de la dispersion, de l’étalement sur toute la surface.
Dans cet enchevêtrement débordant, des teintes franches plus saturées que d’autres se détachent et sautent aux yeux. La superposition des couches picturales souligne la gamme colorée d’une couche plus vive qui anéantit l’autre plus terne. Cette disparition, cette absorption se mesure sous le regard qui achève son parcours sur la fermeté du geste.
L’expressivité de la trace et de la couleur traduit une spontanéité, presque une violence. Le dégradé dynamique des teintes fait porter l’attention sur le détail et fait basculer la composition, en changeant radicalement l’aspect final.

Création ad libitum

Les propositions s’accumulent et viennent compléter la surface. Elles s’immiscent, emplissent en initiant alternativement de nouvelles strates. La construction de l’œuvre multimédia se fonde sur une sans cesse réactualisation avec toujours cette envie de faire correspondre les détails graphiques ; une suite de fragments qui peut sembler infinie. La fulgurance du geste est une réelle invitation à l’évanescence picturale. De la superposition à la juxtaposition, de l’étirement à la compression, du grand au petit, du net au flou, du chaud au froid, l’œuvre de synthèse repose sur un savant dosage qui lui confère toute sa rigueur. Malgré sa simplicité apparente, elle relève d’une réelle recherche.  Une expérience fractionnable, toujours ouverte au pouvoir déflagrant et sans limites.

Sauvegarde visuelle

L’effacement du réel et la vision explosive, apocalyptique peut être envisagée comme un bug artificiel et le témoignage de la disparition du monde et de la sauvegarde des savoirs.  Ces reconstitutions visuelles agissent comme des indices. A l’heure du tout numérique, la conservation des données interroge la préservation de ce que nous sommes. Dans ce cataclysme visuel, les repères initiaux disparaissent pour laisser place à une nouvelle ère où l’existence avérée se charge d’un autre potentiel d’occupation. Les liens se tissent selon un réseau inédit de références autant intentionnelles qu’intuitives qui repose sur l’émergence du hasard à l’intérieur du programme établi. Ces couches mémorielles du passé et du présent, du savoir et de l’émotion se cristallisent pour devenir des fossiles virtuels. Elles conservent les réminiscences d’un détachement progressif de tout sujet, de toute narration, de toute représentation. Il ne s’agit plus de montrer mais de révéler ce qui se montre.

Les œuvres numériques de Patrice Claude sont des expériences visuelles qui reconstruisent la perception. Forme, rythme, couleur et lumière participent à l’expression d’une sensation dynamique autour de la dématérialisation de l’œuvre. La peinture existe mais ailleurs.


*Maurice Benayoun. Le Monde en fusion critique. Entretiens Jacques Cartier, Hôtel de Ville, Lyon, Dec 2009, France.