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Flo Jaouen, peindre, jouer et dire

 
Qu'est-ce qu'on attend 3, acrylique, encre de chine et technique mixte sur toile H100 x L80 cm

Elle a choisi la peinture pour dire. Son processus de figuration narrative s'imprègne de l'intime et du lien avec l’autre où s’extrait un formalisme amusé qui brise la cohérence première de l’étonnement.

Flo Jaouen fait dialoguer les êtres, tournés vers leur intériorité ou dirigés vers les autres. Ces identités, ses représentations de soi, sont des caractères évidents de notre conscient et de notre inconscient. Personnages réels mais aussi statues, poupées ou figurines, ils nous interpellent frontalement sur ce que nous renvoyons. Cette complexité de l’individu se dépeint dans un monde, un huit clos où les repères de lieux et de temps se brouillent. Extraits de leurs contextes, les personnages s’affranchissent des décors et de toute narration qui pourraient révéler leur univers. Leurs situations composent une fiction qui bouscule les codes dont l’intrigue nous échappe vertigineusement.

L’artiste peint une réalité qui émeut, fascine, émerveille, divertit, questionne et préoccupe à la fois. L’innocence de jeunes protagonistes confrontée au monde adulte aboutit à un humour réjouissant qui renvoie, non sans malice, à l’ambivalence de l’enfance ; un foyer d’amour et de tension.
Lorsque l’on prend le temps de regarder les toiles de Flo Jaouen, petit à petit l’atmosphère se transforme, le regard passe au travers d’un nouveau prisme. Les sentiments bienveillants s’effacent au profit de sensations hostiles, jaillissantes tels les effets empiriques de la fatigue, la lassitude, le stress des grandes personnes face à leurs têtes blondes effrontées. L’artiste joue la naïveté pour susciter le trouble et révéler un monde de tension entre les êtres. Elle conjure le prévisible et perturbe l’attendu. « J’aime rendre la scène vivante, mes personnages doivent exprimer une émotion. Je souhaite transmettre dans mes toiles une force que je ressens au plus profond de moi, l’énergie de la vie. »

Ses travaux échappent à cette forme de réalisme primaire, purement illustratif. La figuration se construit sur un langage critique, l’interrogation d’une humanité. « A un certain point de réalisme, de détail, on ne peut inventer. La réalité est beaucoup plus riche que l’imaginaire. » La construction travaille en même temps la figure et l’espace. La structure du fond uni appelle la position du corps et réciproquement. Les cadrages originaux donnent l’impression de volume. Cette hiérarchie spatiale inclut dans son espace celui qui la regarde.

L’artiste prépare son ébauche sur ordinateur d’après des photos de ses proches ou d’inconnus. La palette réduite et douce participe à une atmosphère épurée.
« La couleur est pour moi secondaire et moins importante que l’histoire. »
L’expression de la scène apparait en se débarrassant de tout esthétisme, de tout ornement inutile. Le réel concentré, décentre la question du repère dans un décor minimaliste où l’unité du lieu s’efface.

L’enfant est présenté dans son environnement intérieur, un salon, une pièce vidée de tout mobilier excepté un divan. Cet élément récurrent souligne une situation qui se veut analysante. C’est une invitation à se placer dans la disposition d’écoute et de regard pour une meilleure compréhension de la narration. Le transfert s’organise favorisant l’appropriation subjective de pans de vie ; les illustrations d’une mémoire collective. Chacun a déjà vécu ou a été témoin d’une telle situation. 

Tensions, points de déséquilibres, détails percutants, grimaces… Les corps, les regards parlent d’eux-mêmes. En persistant à donner sens à l’image, l’artiste prend le soin de préciser le plus possible les signes qui pourraient alimenter la dimension narrative.
« Je souhaite que le spectateur se pose des questions, décrypte un message. Pendant mon enfance, je passais mon temps à jouer. Je me souviens de cette jubilation d’inventer des histoires, de créer des situations. Finalement, je continue à jouer aujourd’hui autrement sur la toile. » Une fillette chaussant les souliers trop grands de son père, un jeune garçon apprenant à lasser ses chaussures ou lisant un livre qui ne lui semble pas destiné... Toutes ces scènes montrent comment l’enfant gagne petit à petit son indépendance face à la présence désabusée de l’adulte qui dort ou semble détourner son attention.

Par ses aplats de couleurs et cette peinture qui donne aux individus une réelle profondeur psychologique, ses travaux évoquent ceux d’Edward Hopper. Comme chez le peintre réaliste américain, la mise en scène des relations avec les autres accentue progressivement la frontière entre espace intérieur et espace extérieur. Cette ambiance métaphysique plonge la figure humaine dans une certaine solitude. On retrouve également cette approche chez Leonardo Cremonini que Flo Jaouen cite volontiers comme référence pour ses lignes, ses formes géométrisées et ses sujets à la force expressive et mélancolique.

Elle allègue également son admiration à Vassily Kandinsky et sa narration d’éléments volubiles abstraits qui l’ont particulièrement influencée dans son travail. L’atmosphère troublante et torturée de Francis Bacon et Gérard Garouste sont d’autres maîtres référents pour la peintre. Mais avec son style à la fois réaliste et acéré, ses travaux pourraient s’inscrire dans l’héritage figuratif de Lucian Freud et ses modèles peints dans ses ateliers vides sur des lits et sofas, dans des poses inhabituelles, parfois aux attitudes crues.

Séduisante par sa maîtrise technique, la peinture de Flo Jaouen chahute par sa tonalité narrative l’ordre visible. Ses figures humaines remplies de significations et d’attachements constituent une histoire picturale aussi sensible que désaxée qui permet d’atteindre un angle essentiel et surprenant.