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Marie Levêque, la suspension du moment


 
diptyque 70 x 100 cm, gouache et mine de de plomb sur carton


Du très réalisme à l’abstrait, elle explore le paysage, l’objet, le portrait et les scènes de vie quotidienne. Marie étudie la suspension du moment, ses rythmes, ses accidents et ses surprises temporairement immobiles.

Ses premières œuvres visitent la nature morte et le paysage avec une fascination particulière pour l’aspect changeant de ce dernier et son « instant T » qui fait vaciller la lumière, la représentation vers le moins figuré, devenant abstraction pure.
Pour ses portraits, elle concentre le réel, recadre et évacue certains signes qui pourraient alimenter la dimension narrative, affinant une présence pure et simple. Sa série « Destinées » dépeint des portraits de personnages célèbres enfants ; David Bowie, Simone de Beauvoir, Serge Gainsbourg… Autant d’icônes qui ont imprimé le monde de leur créativité. Une façon de témoigner de l’égalité des chances et de la possession d’un potentiel qu'il convient à chacun de révéler. Exécuté entre douceur et apaisement, le diffus cohabite avec le précis. Il se laisse bercer par une recherche fluide. Ce climat de repos s’envisage comme un arrêt dans le ressenti de la fragilité de l’individu enfant.

En captant le mouvement et l’expression, elle donne sens à une atmosphère en se débarrassant de tout ornement inutile. Les scènes décentrent la question du repère ; elles n’ont pas d’unité de temps ni de lieux. Le réel vidé de son espace fait pourtant sens en imposant une confrontation en prise directe avec le regardeur.

L’artiste sait indéniablement raconter une histoire. Sa peinture sillonne des détails intimes, des ambiances à chaque fois singulières se prêtent à l’interprétation.
Dans la série « états d’âmes », le moment capturé est envisagé comme un plan séquence, un travail cinématographique qui suggère des esquisses de fiction. Une véritable projection imaginaire entre le connu et le rêvé. Une manière de se recentrer sur l’intériorité des sujets dans la reproduction de leur attitude.

La tension picturale laisse se battre en duel le mystère et l’ironie et nous laisse libre de recomposer mentalement le récit en nous permettant parfois d’atteindre un angle essentiel et surprenant. Celui par exemple d’une jeune fille en bikini enjambant son balcon. A vous de l’imaginer ! L’instant figé s’étire et se condense. Il s’agit de préserver l’inattendu tout en le conduisant, en saisissant les présences qui échappent au sens. Le champ de l’imaginaire s’élargit. Cette narration sensiblement désaxée brouille les pistes et propose une double lecture, parfois subversive.

Les sensations deviennent incertaines. Les vibrations du motif mutent. Insertion de la couleur par endroit, transparence induite par la technique du crayon et de la gouache, le blanc comme partie intégrante, le jeu sur les nuances de gris, les impressions de volume, les cadrages originaux... Ce magma créatif de situations picturales maintient le paradoxe de non-lieux, de hors-champs perceptifs.

Absence, présence, le va-et-vient permanent préserve un certain vertige. La lévitation opère. Dans ces espaces suspendus de scènes irrésolues, le spleen d’un état transitoire se laisse diffuser. Il est renforcé par l’utilisation d’une palette claire et douce qui participe à la lecture de l’œuvre lorsqu’un élément se colore en particulier et se détache. La peintre travaille sur carton pour l’effet lisse et mate et accorde une grande importance à la construction de l’image, des lignes horizontales, verticales, des centres, des points de déséquilibres, des détails percutants. Ce langage probablement influencé par son parcours aux Arts Décoratifs et par son activité de graphiste n’autorise pas de forme d’exubérance mais plutôt celle d’organiser les choses. Rien ne semble être laissé au hasard. Marie Levêque trace ses lignes pour poser ses limites et créer son propre ordre face au spectacle de la vie, à la suspension du moment. Ce cheminement perceptif se traduit par un état méditatif, une vision pénétrante qui stimule nos sens. La spiritualité des âmes s’imprime sous une appréhension bienveillante. Elle illustre une certaine mémoire collective, une situation que chacun a déjà vécu.