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Corinne Cavillac, « Abstractions solides »

 

Dans l’objectif de son appareil photo, elle voit d’abord une trame autoritaire ; des lignes verticales, horizontales, concaves, puis lorsqu’elle s’en approche, elle saisit d’autres compositions abstraites, des pans ordonnés de couleurs et de matière. Elle capture les architectures urbaines avec l’envie de nous surprendre.

Corinne Cavillac réalise ses photographies en instantané, à l’éclairage naturel, sans filtres ni retouches plastiques. Seule compte l’idée, l’astuce qui vient faire basculer un instant, un volume, une ligne, un angle, une texture, une couleur repérée et attrapée vers quelque chose de complètement différent. La prise de vue prend une signification nouvelle, dans un autre cadre renversé, inédit. Cet agencement de la construction accentue le point de vue structurel. Il est envisagé comme un aspect purement malléable.
« Les possibilités des matériaux comme le béton sont une pâte à modeler de base pour mes cadrages. »

A la mesure de l’apparente froideur des façades, entre matérialité et immatérialité, l’artiste dirige son objectif vers une abstraction avérée, une décomposition voire une disparition du réel évident.
« C’est le fait de prendre des plans rapprochés qui m’a permis d’aller vers des constructions photographiques abstraites. Dit autrement… Des milliers de personnes passent devant tous les jours sans les voir. »
Il s’agit de focaliser sur les pleins et les vides qui dessinent notre territoire. Ceux à travers lesquels on circule sans y penser, sans même les discerner. En regardant la réalité de biais, la rêvant de façon inépuisable et révélant son potentiel pour le multiplier de façon exponentielle.

Corinne se place radicale face à l’inertie et la rigueur du bâtiment. Elle répond à la ligne droite et sévère, vient suggérer une destination, marquer un état. Elle objective son geste, trame la contrainte et impose son cadre. Elle percute la trajectoire des édifices, garants d’un certain ordre visible, d’une force coercitive.
La couleur de certains clichés apporte une nouvelle construction narrative et accentue la force picturale. Non dans le but de brouiller les pistes mais plutôt d’élargir les possibilités d’interprétations. Elle imagine autrement, ailleurs, en donnant un possible infini. Cette oscillation permanente de l’identification des formes et des surfaces est une véritable invitation à la désorientation sensorielle. Une adoption critique sur ce que l’on voit et ce que l’on sait.

L’expérience évoque les peintures à l’esthétique minimale de Charles Neubach où les tonalités, les formes géométriques les plus élémentaires retranscrivent celles des grands ensembles architecturaux des zones urbaines et périurbaines. On pense aussi aux artistes contemporains de l’art cinétique tels que Carlos Cruz-Diez qui revendique « la prise de conscience de l’instabilité du réel. » Enfin, il est difficile de ne pas avoir en tête les travaux des représentants de l’abstraction géométrique ; Mondrian, Dubreuil, Vasarely, Kelly, Reinhardt ou Morellet… De la peinture à la photographie, Corinne Cavillac s’inscrit dans cette démarche de déplacements optiques, de séparations et d’assemblages jouant de la perception et de la composition changeante.

Sans arrangement, détournement ou amélioration, il y a dans son travail toujours un clin d’œil qui nous mène vers le trouble de la dimension des espaces d’une urbanité contemporaine. Une occasion de regarder différemment ce qui nous entoure, de contempler poétiquement l’ordinaire pour en révéler l’extraordinaire.