Beauté défigurée, Flo est la muse d’une tragédie humaine où Eros et Thanatos affluent jusqu’à sang.
Alain Gegout a ce génie de la
dématérialisation de la forme humaine. Maître des angles, de la courbe et du
rythme, il dissèque, brise et accentue avant de restructurer, revendiquant un
objectif « défiguratif. » L’intention est de défigurer sans
détruire, éliminer ce qui est trop esthétique sans représenter le corps
dans son idéal de perfection. A l’aide de cartes à puce, de
spatules, chiffons et pinceaux, il compose à l’acrylique. Le sable, la cendre
et le papier viennent chahuter la planéité pour créer un relief où les strates
se succèdent. Il recouvre, maroufle jusqu’à la trace ultime. « Mon travail c’est comme un palimpseste qui
ne préserve pas les couches. Je passe autant de temps à ajouter et à enlever,
en juxtaposant, lavant, vaporisant ou grattant. »
L’élaboration d’une œuvre d’Alain Gegout peut s’échelonner
sur plusieurs années. Un travail de longue haleine avec ses discontinuités
et ses juxtapositions d'espaces temps effaçant tout repères. Le temps ne
s’affiche pas. Il reste absent dans la
représentation du réel, l’invisible se trouvant ainsi mieux suggéré. L’artiste compose une variation autour
d’une muse intemporelle, identifiée sous le nom de Flo ; héroïne
générique, énigmatique, unique et multiple à la fois. Sa réalisation fictive se
mêle à la fascination subjective pour rattacher l’icône à une perception plus
intime.
Etude pour un de ces nombreux amants,
2013, acrylique et marouflage sur toile, 80 x 60 cm
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Sa nudité sans fard est parfois
accompagnée d’un voile. Sous la virtuosité du drapé, on décrypte une
transparence diaphane de la peau, virginale. Innocente, évanescente, Flo est baignée
dans un paysage couleur sang, comme prisonnière de l’espace-temps dicté par le flux
d’un cycle menstruel. L’endomètre se désagrège pour redonner vie. Eros
et Thanatos… La valeur intrinsèque de la couleur rouge
ne se situe-t-elle pas entre la vie la mort ? « C’est l’irréfutable tragédie humaine. Le
rouge est lié à mon optimisme convulsif, la passion, l’envie de vivre face à ce
désespoir. »
Sous cette dominante ardente, l’œil absorbe tout et
finit par considérer la beauté déstructurée et ses malformations comme
normales. La muse-créature affiche une animalité qui s’accepte. Son image comme
sa dignité ne sont jamais atteintes ou dénaturées. Rendue à l’état naturel dans
sa déformation anatomique, elle s’affirme sculpturale, tel un menhir de chair.
Lascive, lubrique, parfois indécente, elle nous donne l’impression d’assister à
un moment fortuit. Flo éveille et remue notre émoi sensuel, dévoilant un côté
spontané, jouissif. Un trait androgyne se dessine parfois sous une couche de
l’épiderme. Cette imbrication mi homme mi femme, expérience presque
hallucinogène d’apparition et de disparition, nous projette aux confins de
l’érotisme, à la rencontre d’une étrangeté plus secrète. Elle s’illustre sans
complexe, sous une nouvelle incarnation. Une image subliminale apparaît :
celle d’un regard qui dure le temps d’un éblouissement.