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Daniel Tihay, métal criant

Cet enfant de Vulcain manie le matériau brut avec une puissance maîtrisée pour souligner les failles d’une civilisation toujours en tension entre la rupture et le lien.

 Dancing in the dark, 2010, acier forgé, cuivre, aluminium, 73 x 26 x 4 cm

Daniel Tihay a choisi la mécanique générale, puis la chaudronnerie et le travail des métaux en feuille tout en étant attiré par les capacités artistiques à réaliser des volumes à partir du métal. Son discours se forge d’abord sur une démarche humaniste. « Le métal - créé par l’homme – est à la base du développement de la civilisation humaine. J’applique volontiers au métal des traits de caractère que j’aime retrouver chez l’humain ; le métal est franc. Il est faussement rigide et froid et se laisse travailler facilement par celui qui possède le savoir faire qu’il exige. Une sorte d’approche initiatique est nécessaire pour pouvoir le travailler. » Le procédé débute par le dessin, puis les éléments sont façonnés, découpés, déformés à froid ou à chaud, pliés, soudés… Les pièces déjà préformées ou récupérées sont systématiquement modifiées et ajustées. L’artiste aime apporter sa propre empreinte aux matériaux jusqu’au finitions des patines. 
L’oeuvre de Daniel Tihay est un inventaire de formes, de pièces détachées disponibles à profusion. La matérialité dense, tangible et sensible relève la tension qui travaille la sculpture entre abstraction et figuration entre concentré et éclatement. Conjuguée au poids de l’acier, l’illusion d’une puissance cinétique des artéfacts tridimensionnels se met en place.L’expérience de la spatialité est approchée par des formes géométriques ; des disques, des caissons, des palettes rectangulaires, carrées, accidentées, brochées, boulonnées, suturées. La ligne chaotique montre son pansement. La plaie visible, reste ouverte mettant en scène une souffrance soignée. « Par ces formes géométriques je ne cherche pas particulièrement à figurer une idée ou quelque chose de précis. Pour moi c’est d’abord un support physique, un « cadre de liberté » qui me permet d’exprimer mon sujet. Je pense à Fontana qui avait besoin d’une toile bien tendue pour pouvoir rendre l’effet des fentes sous ses coups de cutter. »

Stardust, 2012, inox, acier et zinc, 90 x 80 x 8 cm

Daniel Tihay renforce la théâtralité sculpturale. Il rend l’événement possible. Les fissures sont des situations surgissantes, des dérapages qui échappent au contrôle. Comme un déplacement des forces en présence, des découpes spatiales de la géographie d’un monde en mouvement. Les craquements visibles d’une planète qu’engendre son usure. Ce sont les failles humaines, les impulsions, les souvenirs, les espoirs, les angoisses de chacun. Des mouvements intimes qui déchirent, laissent une trace. « Ce sont des états, des situations, des évènements qui constituent le parcours même de l’homme sur la terre (…) La fissure annonce la déchirure, puis la rupture, celle de notre société qui développe une technique de plus en plus sophistiquée mais qui de ce fait devient aussi de plus en plus fragile (…) Le lien et la rupture c’est la vie. La venue au monde d’un petit être ne commence-t-elle pas déjà par une déchirure, soignée par un lien ? » Le lien répare et rassemble. Il relie la rupture dans l’espace temps.
Les sculptures contemporaines de Daniel Tihay livrent à notre regard un processus au sein duquel la notion de temps repose sur une ambivalence radicale. Il concentre le réel, créant simultanément plusieurs sous-couches de temps et d’espace. Ses compositions aux traits futuristes sont aussi des empreintes du passé mêlant le brillant au rouillé. Des débris spatiaux temporels dont la représentation travaillée par stratifications devient une réminiscence de la mémoire qui continue à faire sens.