Comment
retrouver l’émotion intense que peut procurer le souvenir d’un voyage ? Pour
répondre à ce désir impérieux de transmettre ce qu’elle a ressenti à propos d’une
situation, d’un paysage et de ses personnages, Françoise Cosmao adopte un style
homogène parfaitement identifiable. Au crayon à l’huile, sur la toile, elle
juxtapose d’abord les traits, préalablement étudiés au croquis, puis les formes
au pinceau sous l’huile
pigment, liants ou autres Térébenthines de Venise. Le
style formel s’appuie sur ses souvenirs d’ailleurs ; essentiellement des
personnages rencontrés au cours de
voyages. « Je n’aime pas les attitudes posées. Ce sont
des scènes de rue. J’aime surprendre les gens dans leur vie quotidienne. Ils
sont eux-mêmes à ce moment là. Lorsque je peins des femmes en train de se
baigner dans la mer en sari, je ne veux pas leur donner un visage. C’est le
mystère qui m’intéresse même si ces personnages viennent du bout du monde. C’est
une façon de ne pas franchir leur intimité. » Sa touche brouille les faciès et retranscrit
un caractère contemplatif en retenue. Les individualités sont oubliées par la scène
qui les absorbe, soulignant une pudeur picturale qui préserve toute son
intrigue. L’approche de Françoise Cosmao est une main tendue pour aller à la
rencontre d’une étrangeté cachée. Une photographie, réalisée par ses
soins, la guide dans la reproduction d’une attitude, à la recherche du détail
frappant qu’elle
soutient par la couleur. Les silhouettes apparaissent dans une
harmonie chromatique. Les
tons doux et clairs unis par procédé modelé permettent
de donner au motif une impression de volume en utilisant les valeurs en dégradé.
En contraste, le blanc, partie intégrante de la toile, propose un luminisme
nuancé.
Jeu de
la mémoire et de l’oubli, sur la même surface, Françoise Cosmao fait cohabiter
le flou et le figuratif. Une ambivalence assumée entre l’apparition et la
disparition ; l’endroit insaisissable où prend appui l’émotion poétique. Une
dimension atmosphérique se dégage, créant un doute sur ce que l’on peine à
nommer. Un expressionnisme abstrait où l’artiste nous invite à penser sa
mémoire en mouvement. Françoise Cosmao s’attache au geste plus qu’à l’action. Elle
prend le soin d’évacuer ce qu’elle juge de trop ; ce qui pourrait
alimenter la dimension narrative de la scène. Le corps à toute son importance. L’abstraction
du corps est matinée d’un naturalisme discret, laissant la place à ce qui l’entoure.
A tel point que les personnages apparaissent comme des éléments naturels,
imbriqués dans le paysage. Cette apparition fortuite est renforcée par un
élément récurent ; l’eau, la mer, en filigrane, le fil rouge qui court
d’une série à l’autre. « L’eau est un élément fascinant. Je suis
bretonne. J’aime la mer mais elle me fait peur. C’est tout le contraste de
cette force puissante que j’adoucie avec la couleur. »
Cet équilibre des forces s’entremêle entre la représentation
du vécu et la vue de l’esprit, entre le vrai récit et la fascination
subjective. Françoise Cosmao souligne les potentialités de fiction de la scène. Elle se glisse, se fond dans ses histoires, telle une
passagère clandestine à la frontière de ses propres souvenirs, imposant avec
grâce la réminiscence de l’image qui doit trouver à s’inscrire dans sa propre
mémoire.