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Françoise Cosmao, entre la mémoire et l’oubli


 
Les mêmes de face... Bali, 2013, huile sur toile, 116 x 89 cm

Comment retrouver l’émotion intense que peut procurer le souvenir d’un voyage ? Pour répondre à ce désir impérieux de transmettre ce qu’elle a ressenti à propos d’une situation, d’un paysage et de ses personnages, Françoise Cosmao adopte un style homogène parfaitement identifiable. Au crayon à l’huile, sur la toile, elle juxtapose d’abord les traits, préalablement étudiés au croquis, puis les formes au pinceau sous l’huile pigment, liants ou autres Térébenthines de Venise. Le style formel s’appuie sur ses souvenirs d’ailleurs ; essentiellement des personnages  rencontrés au cours de voyages. «  Je n’aime pas les attitudes posées. Ce sont des scènes de rue. J’aime surprendre les gens dans leur vie quotidienne. Ils sont eux-mêmes à ce moment là. Lorsque je peins des femmes en train de se baigner dans la mer en sari, je ne veux pas leur donner un visage. C’est le mystère qui m’intéresse même si ces personnages viennent du bout du monde. C’est une façon de ne pas franchir leur intimité. » Sa touche brouille les faciès et retranscrit un caractère contemplatif en retenue.  Les individualités sont oubliées par la scène qui les absorbe, soulignant une pudeur picturale qui préserve toute son intrigue. L’approche de Françoise Cosmao est une main tendue pour aller à la rencontre d’une étrangeté cachée. Une photographie, réalisée par ses soins, la guide dans la reproduction d’une attitude, à la recherche du détail frappant qu’elle soutient par la couleur. Les silhouettes apparaissent dans une harmonie chromatique. Les tons doux et clairs unis par procédé modelé permettent de donner au motif une impression de volume en utilisant les valeurs en dégradé. En contraste, le blanc, partie intégrante de la toile, propose un luminisme nuancé.
Jeu de la mémoire et de l’oubli, sur la même surface, Françoise Cosmao fait cohabiter le flou et le figuratif. Une ambivalence assumée entre l’apparition et la disparition ; l’endroit insaisissable où prend appui l’émotion poétique. Une dimension atmosphérique se dégage, créant un doute sur ce que l’on peine à nommer. Un expressionnisme abstrait où l’artiste nous invite à penser sa mémoire en mouvement. Françoise Cosmao s’attache au geste plus qu’à l’action. Elle prend le soin d’évacuer ce qu’elle juge de trop ; ce qui pourrait alimenter la dimension narrative de la scène. Le corps à toute son importance. L’abstraction du corps est matinée d’un naturalisme discret, laissant la place à ce qui l’entoure. A tel point que les personnages apparaissent comme des éléments naturels, imbriqués dans le paysage. Cette apparition fortuite est renforcée par un élément récurent ; l’eau, la mer, en filigrane, le fil rouge qui court d’une série à l’autre. « L’eau est un élément fascinant. Je suis bretonne. J’aime la mer mais elle me fait peur. C’est tout le contraste de cette force puissante que j’adoucie avec la couleur. »
Cet équilibre des forces s’entremêle entre la représentation du vécu et la vue de l’esprit, entre le vrai récit et la fascination subjective. Françoise Cosmao souligne les potentialités de fiction de la scène. Elle se glisse, se fond dans ses histoires, telle une passagère clandestine à la frontière de ses propres souvenirs, imposant avec grâce la réminiscence de l’image qui doit trouver à s’inscrire dans sa propre mémoire.