Le psychiatre, son fou et la
psychanalyse – la mélancolie, œuvre réalisée sur iPad.
Mathématicienne de formation, Evelyne Huet a
aussi étudié l'anthropologie. Les mythes, les religions, l'histoire
des peurs collectives, en particulier de la folie et de la mort en
Occident la passionnent. Ses portraits, icônes numériques réalisées sur
iPad pourraient être l’héritage du Pop
Art et de l’Art Primitif à la fois. Ils témoignent d’un inconscient
collectif, une réserve de drames réels ou fictionnels qui parlent à tous et
appartiennent de ce fait à tout le monde. L’artiste exploite le ressort du
mythe, ses représentations artistiques et son processus d’identification à
travers des faciès cosmopolites. Son entreprise
sociologisante est un subtil hommage à la subjectivité et à la différence. A la fois familier et insaisissable, le faciès exerce
une fascination, pour ce qu’il renvoie à celui qui le regarde. Une
introspection d’apparence sereine qui révèle une tourmente
plus profonde. Une
véritable esthétique de l'effroi, du malaise qui se donne également à voir
comme l'incarnation du tourment intérieur, de la névrose ou de « l'agonie
du Moi. »
La
dissymétrie des traits renforce cette « inquiétante étrangeté ». Les traits ont en
commun un front large, un nez droit et une bouche parallèle aux yeux ; des
orbites vides qui aspirent le néant. La
représentation du simulacre de la masculinité est évidente. Le phallus, cette
entité de convoitise aux mystères
insondables apparaît au second regard comme une puissance symbolique, une vision
magnifiante du masculin.
« Après
avoir peint sur toiles exclusivement des femmes, mes oeuvres digitales parlent
majoritairement d'hommes. Les femmes ont tellement occupé le coeur et l'esprit de ma peinture que
j'éprouve peut-être le sentiment d'avoir momentanément tout dit et le
besoin de faire une pause. » Son
virage esthétique affiche une nouvelle dualité où l'érotisme côtoie la
froideur, l’éros, le thanatos. Evelyne
Huet traduit avec force cet enchevêtrement pulsionnel plongé entre vie et
sommeil éternel. L’image numérique figée comme l’image de la mort, devient ici
une icône vivante. Les faciès se décryptent comme des masques mortuaires
primitifs. Une représentation
énigmatique par excellence de métamorphose, destinée à dissimuler le visage. Le
masque voile autant qu’il dévoile le lien entre le monde des hommes et celui des ancêtres,
esprits, défunts. Il fait fonction d’intermédiaire, de passeur, de médiateur. Ici, son reflet macabre se brouille au profit d’une allégresse colorée,
électrique. Evelyne Huet a recours aux
couleurs vives et à un certain degré d’abstraction. Elle simplifie et dépouille, accentue,
déforme, à la recherche d'une vérité plus profonde que la ressemblance. Son contour visible renforce le
tracé qui entoure la forme dans laquelle les entrelacs prononcés s’expriment.
Le trait net s’entremêle aux aplats parfois nuancés, travaillés en impression,
laissant apparaître une sensation hypnotique de trouble. Cette notion se
renforce avec l’idée de l’image numérique dont la netteté du pixel se confronte
aux aléas de la définition, de la luminosité et du contraste de l’écran.
Pour Evelyne Huet, la peinture est aussi une
affaire de technologie. La technologie devient matière, une surface plane sans
texture, sans profondeur mais qui préserve la trace de la main. L’artiste peint
à partir du logiciel SketchBook Pro, exclusivement avec les doigts.
« Le côté tactile du support iPad est très sensuel et ludique.
Le champ d'inspirations qu'ouvre précisément cette technique est extrêmement
sensitif. Il y a ce plaisir intense du sentiment de la création et de la
"dé-création" qui naît sous les doigts, sans qu'on soit jamais dans
le tragique de la toile qu'on efface. Là, tout peut rester vivant puisqu'on
peut copier les versions que l'on souhaite conserver. Il n'y a pas de petites
morts successives comme avec les supports physiques. »
Le
geste digital relève de l’intention tribale. Un lien temporel oscillant entre
apparition et dématérialisation. Grâce à la tablette, Evelyne Huet acquiert une nouvelle liberté, elle
explore les
possibilités de création artistique offertes par ce nouveau support, s’affranchissant des limites de
l’art pictural traditionnel.