« La
cour des miracles existe toujours dans les pays dits riches, civilisés,
démocratiques. La misère semble même progresser. Est-ce une fatalité ? Il
est important pour moi en tant
qu’artiste de ne pas faire que de la déco, témoigner de ce que je vois, ce qui
me touche ou m'interpelle. C’est ma façon de défendre mes opinions et
d'agir en tant qu'être humain, sensible, sans parti politique. »
Jaja
pratique l’art digital. Elle mixe la photographie et le dessin, deux supports
réalisés par ses soins. La photographie est prise au hasard de ses
déambulations, elle est numérique ou en lomographie. Elle ajoute ensuite son
dessin, numérise le tout, intervient sur la couleur, intègre quelques éléments
visuels (comme des panneaux de signalétique) avant d’imprimer le support sur
papier photo papier d’art pour l’insérer ensuite entre deux couches de
Plexiglass, sans colle (procédé Diasec.)
La
construction est minutieusement réglée sous l’effet de cadrage, de découpe, de superposition.
Jaja
emprunte une structure narrative bien à elle. Elle s’échappe de la narration
pour intervenir sur le réel. Ses images entrechoquent réalité, fiction
et différents niveaux de récit. Entre hommage, appropriation et dénonciation,
ses œuvres sont les effets stylistiques d’un langage artistique sans cesse
réinventé. Un jeu de construction sémiotique où les éléments plastiques sont
emboîtés sans être dénués de poésie. Les jeux de codes ne vont d’ailleurs pas à
l’encontre de l’onirisme qui se dégage sous une certaine délicatesse. La palette est douce ; un équilibre pesé
où la lumière et la couleur se fondent avec harmonie. Elle nous engage à la
fois sur la perception de l’image et sur la personnification de la scène.
Si
la photographie est placée au cœur de sa pratique, c’est pour mieux révéler les
protocoles du regard.
« Vive ou douce,
la couleur joue un rôle visuel, celui de séduire le regard. Je veux
interpeller sans heurter pour ne pas détourner le regard du spectateur. Je
veux le contraindre, le prendre dans le filet d'une douce ambiance colorée, pour
qu'un regard bienveillant se pose sur les Invisibles. »
La
série Invisibles fait exister des vies oubliées. L’injustice est énorme
et pourtant invisible. Jaja tisse une correspondance entre la vie dans la rue et
l’illusion. La réalité tangible flirte avec le surréalisme, réinvente un
présent décalé. La tension visuelle est dramatique et drolatique à la fois.
L’artiste
s’infiltre, se trouve là où chacun passe mais ne voit rien.
L’errance est pour elle un véritable outil stratégique de guérilla humaniste. Elle
construit une poétique qui nous aide à lier raisonnement, réalité et fiction.
Ses
travaux référentiels, témoins de notre temps, sont une revendication de
liberté, une sorte de salut social par l’imaginaire, émouvant et concerné.