Mémoire du Temps n°32, technique mixte, 2013. |
Les
œuvres d’Anne-Marie Mary sont d’abord le fruit d’une action ; celle du
temps.
Dans sa série Mémoire du temps, son procédé repose sur la récolte et la mise en
scène de papiers et de morceaux de métal rouillé sur toile, préparée à
l'acrylique.
Les
fragments de matériaux pauvres ou de rebut sont fixés, leur permettant de
devenir un autre support mis à l’épreuve d’une réalité nouvelle. Ce recueil de
changements d’états de matière s’affirme comme une opération témoin du temps
historique, une transformation
irréversible de la naissance à la mort.
« Comme la rouille qui attaque, le
temps désagrège, déconstruit, réduit en miettes... donc en morceaux ! Nous
vivons dans une société du « Trop » : surconsommation,
surinformation... Et, face à cela, j'ai depuis longtemps la conscience aiguë de
la disparition des êtres et des choses. Cette idée de la fragilité de la vie et
que tout s'efface avec le temps, rejoint, à mon avis, l’expression des Vanités
de la peinture classique. »
Recyclés
et transposés, les fragments aboutissent à des compositions abstraites à
l’aspect cartographié.
Le
temps trame et impose son territoire et son cadre sur le support dégradé,
éclaté. Le
résultat est une carte mitée où les points prolifèrent comme un virus
contaminant l’espace. Sous cette invasion anarchique du germe pathogène et
irrémédiable, la puissance esthétique s’affirme avec poésie. Les traces de
rouille sous forme de tâches et de trous laissent présager la fuite,
l’ouverture, la perspective d’un espace possible, opposé à la rigueur de la
plaque de métal rigide et contraignante. Anne-Marie Mary élargit en permanence
les possibilités de la matière qu’elle recueille.
Les
fragments laissent apparaître un réel qui surgit du support abstrait. Comme une
révélation, cet effet de surprise repose sur l’interprétation subjective du
spectateur qui construit sa propre représentation.
Anne-Marie Mary laisse l’autonomie
de l’élément mais fige son état transitoire ; le moment où le matériau
pourrait se disloquer, rompre. Elle montre la plasticité de l’éphémère, sa
fragilité précieuse. Ses œuvres sont des champs de signes instables qui nous
font douter de ce que l’on regarde.
L’artiste
savoure les circonstances involontaires de la création pour élaborer une œuvre aux
dispositifs sériels de l’instant. Un univers sensible où les périodes de
destructions et reconstructions se succèdent comme des réincarnations. Ses
travaux sont un enjeu artistique et existentiel. Une invitation à apprivoiser le
provisoire. Ce continuum infini où le Memento
mori (souviens toi que je vais mourir) est omniprésent, revit à chaque
instant sous le regard du spectateur.