Les travaux de Sandrine Aléhaux interrogent la possible survivance d’une dualité picturale portée par une énergie esthétique vitale.
Dépasse - 2012 - 61 x 46 cm |
Sa
peinture est énergétique, atmosphérique, organique avec des craquements
apparents. Ce sont des fêlures, les symboles du lien, les caractères
inséparables de propositions complémentaires voire contradictoires.
“Les
fêlures sont générées par un mouvement, une sorte de chemin qu'emprunte
l'énergie et qui traverse la toile. Comme un éclair qui laisse sa trace dans le
ciel, un tremblement de terre qui se propage à travers la terre, ou encore une
cellule masculine qui va à la rencontre d'une cellule féminine. C’est la force
de vie en somme.”
Sandrine Aléhaux met ainsi en tension deux éléments, deux niveaux qui se superposent.
Une « opposition
extérieure et une division intérieure » qui pourrait s’apparenter à la
dialectique hégélienne où tout se développe dans l’unité des contraires.
« Nous
avons deux principes en chacun de nous ; un féminin, un masculin. Chacun donnent
de la puissance à l'autre. Ces deux principes cohabitent et donne vie à une œuvre.
Le
principe féminin est, à mon sens, celui qui aide à développer, c’est l'énergie créatrice, la matrice.
En peinture, il s’exprime par le support, le fond, le paysage, la forme. Il
permet au principe masculin de laisser libre cours à son expressivité. Ce
dernier s’exprime par la gestuelle, le trait, le mouvement, le courant, les
éclats... Il est timide, imprécis, franc, chaotique, éparpillé, colérique.”
Ce
contraste retient autant la forme abstraite que le
procédé. A l’image d’un équilibre des forces, la démarche méthodique de
l’artiste est savamment pesée.
Elle
jette au préalable quelques idées sur un carnet sous forme de croquis, prépare
la toile avec plusieurs couches de Gesso, parfois de poudre de marbre, qu’elle
ponce et dans laquelle elle laisse des traces. Elle dessine ensuite les fêlures
au couteau ou à l’aide d’un bambou. Pour apporter la texture, elle utilise tout
procédé qui érode, gratte ou dépose. Puis à l’aide de la peinture à l’huile,
elle laisse couler le fluide dans les reliefs avec les glacis en plusieurs
couches avant de mettre les accents sur les “éclaboussures.”
Croquis - Leçon 15 - Dépasse |
Le
blanc reste très présent.
“Il
a valeur de contraste et laisse tout le potentiel au trait. Il porte le geste,
le renforce et relie les éléments entre eux. Le blanc est un élément à part
entière. Il n'a pas d'identité. Il est pur, primal et porte toutes les
couleurs. Il permet de peindre le monde invisible.”
Pour
représenter ce monde imperceptible et impalpable, l’artiste trouve son
inspiration dans les leçons de magie qu’enseigne Merlin au jeune Arthur.*
Une
toile pour une leçon, son tour de passe-passe s’inspire du blanc fondateur et induit des rapprochements de
couleurs créant des profondeurs. Apparente comme une illusion d’optique, cette
notion de relief est à l’origine de l’abstraction
visuelle et se révèle presque comme une tromperie visuelle. L’artiste donne à
voir en s’attardant sur un fragment qu’elle sublime. Elle porte attention aux
accidents, aux failles de l’essence originelle qui pourrait se dire toujours
autrement. Entre statisme et vibration, elle convoque la
rémanence et la résurgence des rapports énergétiques en circulation et fige
leur empreinte fossilisée. Sandrine Aléhaux nous englobe dans une
absorption visuelle. Issues du souterrain de
l’imaginaire collectif, ses fêlures sont des cavités, un espace ténébreux où
tout se crée, un antre magique enfoui dans la profondeur de la vie. Un souffle
vital pénétrable, d’une grande force poétique.
* La voie du Magicien,Transformez votre vie avec
l'enseignement secret de Merlin l'Enchanteur, Deepak Chopra, J'AI LU, 2011.