Annie Barel est une artiste pluridisciplinaire. Elle s’appuie sur des supports
multiples offrant à ses travaux une combinaison protéiforme
ultra-contemporaine.
Ses
terrains d’expressions sont la peinture sur toile, la photographie sur grands
formats, la vidéo ou encore la performance de peinture virtuelle projetée sur
le corps en mouvement.
À
l’intérieur de son dispositif, la marge de liberté est grande et les projets
ouverts.
Annie
Barel aurait pu être une artiste Fluxus. Comme ces activistes des sixties, elle
vise à supprimer les frontières entre toutes les formes artistiques et insiste
sur le côté éphémère de l’art en provoquant la performance et l’échange. En
témoigne son appartenance à plusieurs collectifs d’artistes qui lui permettent
de co-organiser des rencontres et des échanges créatifs à l’étranger. Des
allers-venues entre continents pour se nourrir de pratiques et d’inspirations
différentes.
Sa
dernière intention se concentre sur le corps masculin.
« L’idée
est née de séries de photos de buste masculin avec un modèle d’origine
asiatique. Le parti pris du buste anonyme m’a permis de me concentrer sur
l’objet buste sans faire intervenir le visage ni le regard. »
Le
principe de la pose recherchée et le cadrage sophistiqué du modèle donnent à la
représentation du corps un caractère exacerbant tout en esthétisant la virilité
masculine.
Les
tirages en grands formats noir et blanc focalisent sur la déstructuration et la
recomposition du corps. L’artiste croise, étire les éléments pour reconstruire,
les fait vriller avec à la fois des parties de face et de dos ou encore
décompose le mouvement pour un résultat presque abstrait.
Dans
la rue ou en galerie, elle tapisse ses photos sur tirages clairs. Le corps se
lit à l’infini comme un puzzle et s’élève dans l’espace sous une légèreté
fugitive et évanescente.
« Le
corps c’est aussi le mouvement, la danse. C’est le corps qui se tend, qui se
déploie qui m’intéresse. »
Dans
une tension de recherche formelle, le sujet est placé devant un fond neutre.
Les préoccupations esthétiques de l’artiste se caractérisent par une volonté de
représenter le réel sans fard, par une image frontale, froide, dans la mouvance
de l’art minimal et conceptuel où l’anonymat et la sérialité sont accentués.
Annie
Barel nous installe dans l’intime et nous propose une lecture aux frontières du
voyeurisme. Le jeu et la fascination qu’elle instaure pour son modèle
pourraient s’identifier, à l’exercice du journal intime façon Nan Goldin mais
avec plus de pudeur, ou encore à la
pratique narrative de Sophie Calle. Comme cette dernière, elle travaille le
récit fragmenté et éparse que le spectateur reconstitue. La mise en image se raconte
également par ses éléments de brouillage qui trompent la perception, égare les
sens. L’adjonction d’éléments extérieurs, souligne une réalité envisagée comme
un espace théâtralisé.
Comment
ne pas penser aux portraits noir et blancs stylisés du sulfureux Robert
Mapplethorpe ? En particulier ses nus masculins et le cru érotique de ses
œuvres du milieu de sa carrière qui avait déclenché à l’époque les polémiques.
Chez Annie Barel comme chez Robert Mapplethorpe, l’image peut se lire comme un
objet de désir.
Ce
désir se décrypte en mouvement lorsque l’artiste convoque la vidéo. Annie Barel
marche sans appréhension sur les pas des vidéastes Bruce Nauman ou Dan Graham
en engageant le corps dans une action pour conserver les traces. Sa narration
étirée et intemporelle rejoint aussi quelque part celle de Bill Viola.
Une
chose est sûre, elle dilate, difracte sans fin, parfois à l’aide de la palette
graphique pour réaliser une peinture virtuelle projetée par vidéoprojecteur sur
le corps en mouvement. Dans son installation vidéo 3D Le mouvement et ses
allégories, il s’agit ici d’expérimenter « l’en train de
disparaître » et la naissance du spectre.
Basée
sur le synchronisme et la disjonction, cette installation calque une
séquence-vidéo de corps vivant sur un buste
modelé en 3D. Dans la profondeur de champ, elle fait exister la représentation
du buste de façon illusionniste. Détachée du corps, l’image n’a plus de lieu et
devient fantomatique. Cette séparation hallucinée de l’unité buste, son
instantanéité différée sont des modes d’accès au réel que des vidéastes comme
Gary Hill ou Douglas Gordon se sont autorisés.
Côté
peinture, Annie Barel cherche un autre angle d’approche que la photographie ou
la vidéo. Elle s’attarde sur l’idée de
texture, de peau, du détail, étudié en contre jour. Pour avoir ce rendu de
lumière singulier, elle travaille la toile brute en matière et en épaisseur à
l’aide de l’acrylique et de pigments jusqu’à imiter le métal ou le bois.
« Je
cherche le contraste de la matière de la toile qui demeure très visible et
brute, même si elle est travaillée et colorée... Cette surface extérieure qui
invite à une autre texture. »
Au
couteau, elle dessine une silhouette au contour visible en contraste avec le
fond. Puis joue avec la tentation de l’ornement qui se juxtapose comme un
tatouage d’or. La superposition du motif, parfois végétal, évoque le japonisme
et plus largement l’art décoratif. Sous
une superposition de styles, l’organique décoré se transforme en icône dorée,
presque christique.
Annie
Barel suit les lignes référentielles d’une contemporanéité qui n’a pas prit une
ride pour s’en détacher et trouver son autonomie sur une voie qui sait être
sienne.
Son
art capte, retient notre attention de toutes parts tel un rapt perceptif
protéiforme qui se reçoit avec le plus délicieux des consentements.