L’univers sensuel, ironique et macabre de Claude Andral est d’une férocité et d’une inventivité extraordinaire. Celui que son entourage qualifie de fabuliste contemporain apporte à la peinture une dimension figurative hautement expressionniste où les allégories réalistes côtoient les plus chimériques.
L’artiste n’a pas toujours été peintre. Après l’école des Arts
appliqués à Paris, il a d’abord été directeur artistique d’un grand éditeur-fabricant
de papiers peints dans l’Oise. Poste d’observation qui lui permet, 40 ans
durant, de flairer et mettre en œuvre les dernières tendances d’art avant-gardistes.
Ce lieu sera son laboratoire sociologique de la condition humaine. Les sensibilités
et les misères enfouies des ouvriers de la région qu’il pratique quotidiennement
seront une matière première pour sa peinture, comme la guerre, un souvenir
traumatique ancré. Claude Andral a 15 ans en 1945 et se souvient avec effroi des cortèges de spectres rescapés de
déportation. Les occasions de questionner le destin de l’Humanité et sa
récurrente fascination pour le mal le nourriront obstinément avant qu’il ne se
consacre à sa vocation de peintre au milieu des années 80.
« La dimension humaine est
irrationnelle. Nous avons une spiritualité ignorée et à la raison je privilégie
l’idée de mystère. L’art en est un. Un dépassement de soi qui parviendrait à
transcender son objet. Une œuvre dont on ne sentirait pas le souffle de
l’esprit n’est pas une œuvre d’art. » Les émanations naturelles de
l’esprit de l’artiste sont émancipées de croyances religieuses mais font
parfois référence aux représentations mythologiques.
Claude Andral cherche à sonder les profondeurs de l’âme et à exalter
les sens, libérés du contrôle de la raison. Il peint des beautés compulsives étrangement
pétries de chair ou d’érotisme. Un romantisme noir où la folie humaine n’est
pas dénuée de sarcasmes. L’artiste s’abrite à l’ombre pour déployer le
merveilleux. Il délite le réel révélant sa mécanique endiablée. Usant de lavis
d’encres et de pâtes acryliques, l’œuvre est dans sa tête, urgente. Il peint sur
toiles de lin laissé brut. Sans filet, il y esquisse quelques traits à la
craie pour la composition des formes, avant d’improviser en couleur privilégiant
l’élan créatif. L’atmosphère est tendue, l’expression soutenue par un jeu de
lumière admirable, un ténébrisme d’où sort la joie. Parfois l’insertion d’un
véritable objet « son piège à regard » s’intègre dans la toile pour
semer le trouble entre la peinture et la réalité.
Pour une défroque, 195 x 130 cm |
Goya et Freud sont passés par là, mais bien avant, c’est sous le regard
d’un très ancien lavis chinois, véritable portrait philosophique de mendiant
s’épilant, qu’enfant il s’est éveillé, en est depuis toujours accompagné et
qu’il décrit comme son déclic esthétique.
Sa tonalité spectrale le poursuit pour traduire son vécu ; freudien
envers sa mère « ce monstre fascinant » qu’il accompagne jusqu’à la fin. L’univers
gériatrique aura été un territoire où le tragique le dispute au grotesque, le
rêve au cauchemar. On sourit devant son réalisme cru, profondément humaniste. Ses
visages et ses corps égarés dans l’ultime attente y sont déjà disséqués. Créatures
à la fois vivantes et mortes, résignées et convulsives, voilà de quoi nous
transporter vers des abysses d’émotion et de questions.
Sa fixation charnelle met aussi en scène quelques attitudes théâtrales.
Il y a les vieux, les fous, les anges, les disgracieux, les bizarres, les gros,
les petits, les grands, les hommes, les femmes, lui-même… L’artiste propose un hommage à la
différence, une panoplie des caractères humains remarquables, mais si ordinaires
pour ne plus savoir les regarder.
Il induit une instance
narrative confrontant des temporalités différentes et des humeurs
contradictoires. Ses rapprochements parfois grinçants, burlesques, souvent
intrigants, invitent à une lecture polysémique de l’image. Les compositions
puissantes de Claude Andral sont de délicieuses histoires
de fous, envoûtantes et amusées.