Emmanuel Bour est un
artiste de pleine nature. Il vit à la campagne au milieu des vergers et des forêts.
Il sculpte le bois qu’il ramène à la réalité contemporaine, son enjeu est aussi
esthétique que contextuel.
surface, sur le retrait et l’ajout de matière, l’alternance des pleins et
des vides, donnent à ses compositions une présence ambivalente, entre
abstraction et figuration.
La femme serpent (1) |
Son
père était menuisier, le bois l’accompagne depuis toujours, il s’inscrit dans
son vécu mémoriel et physique. Ses travaux induisent un rapport au corps, une
confrontation en prise directe avec la matière, une attraction sensuelle.
« J’aime l’odeur et le contact soyeux du
bois, c’est une matière familière et rassurante. »
L’artiste
travaille avec ce qu’il trouve ; des bois indigènes de sa région, très
souvent le poirier sauvage qu’il utilise comme matrice à laquelle il associe
des essences plus colorées et singulières comme le lilas, le buis, l’aubépine,
le prunelier ou autres quetschiers et cognassiers.
« Les arbres que je récupère sont souvent
morts sur pied et comportent des parties creuses, abimées ou colorées de rouge
par la senescence. Le poirier sauvage présente un aspect et une couleur proches
du grain de la peau humaine, de plus il ne porte pas de veinages, il est très
dense et uniforme. Cette neutralité permet un grand éventail de
possibilités : il peut devenir cuir, carton glaise séchée, peau humaine
etc. »
La tronçonneuse, les gouges, les râpes, dans
certains cas le feu, sont ses outils mécaniques. Les traces hasardeuses et
rugueuses du temps et des bactéries sur la matière sont d’autres outils
naturels qu’il revendique.
Emmanuel
Bour travaille ses œuvres en prenant soin qu’elles
soient modulaires et contaminées. Il révèle les traces fossilisées d’empreintes
cachées. Des images
spectrales qui sortent des souterrains de l’imaginaire. Le regardeur devient
détective et co-créateur du potentiel fictionnel. Pénétrables ou impénétrables
pour celui qui regarde, les interrogations demeurent d’une grande force
poétique.
« Il y a souvent, de très petites
choses incrustées ici et là. Elles font partie de mon langage, peut être une
ponctuation, un cri ou un silence. Elles
arrivent aussi quelque fois juste pour perturber une sculpture trop tranquille,
trop sereine. »
Ce
que la nature procure l’intéresse autant que ce qu’il peut façonner lui-même. Ce
va-et-vient entre intentions et trouvailles, entre compositions et
explorations, affirme son principe d’économie et de matérialité maîtrisée.
Emmanuel
Bour suit les veines déjà inscrites dans le bois puis s’en éloigne. Ses lignes
courbes renforcent cette impression de temps immuable.
« J’aime les arbres, leur beauté, leur
longévité qui regarde passer nos courtes vies d’humains agités et inconscients,
leur sagesse, leur simple obstination à vouloir vivre et grandir, leur tropisme
ascensionnel, leur diversité infinie. Ce sont des merveilles, elles ne vivent
pas dans le même espace-temps que nous autres, ce qui les rend à mes yeux plus
intéressantes encore. »
L’artiste
donne un autre sens à la matière par basculement. La présence de techniques sur
la
La jeune fille et le dragon (2) |
Sous
cette conversion du réel, il prône l’ouverture à l’expérience, à la curiosité,
à la sérendipité. Pas de dessin
préalable ni modelage, il
s’engage et taille
en direct dans la masse.
La première opération consiste à ouvrir en deux la pièce de poirier à la
tronçonneuse, dans son épaisseur.
« J’ouvre ma pièce un peu comme on ouvrirait
un livre, et là commence une (première) lecture de ce que cet arbre à vécu dans
sa chair, une lecture quelque fois émouvante lorsqu’il s’agit d’un arbre multi
centenaire qui a reçu éclats d’obus, vieilles blessures et autres marques du
temps. »
Emmanuel
Bour s’introduit dans la matière sans s’y perdre. Il créé le surgissement
simultané de plusieurs temps et espaces.
L’espace
de représentation est travaillé par stratifications, des sous-couches de signes,
des réminiscences et des projections du souvenir.
Dans
le chaos de la matière brute, un visage, un corps, une forme apparaissent. Mais
la recherche de la représentation est délaissée pour laisser place à
l’imaginaire, la fantaisie. La référence n’importe pas. Ce qui compte c’est
l’énergie libidinale, la fascination qu’elle génère.
« C’est une espèce de colin-maillard
avec la matière, une interprétation des signes, des colorations, des défauts,
des manques, etc. Les personnages apparaissent, puis l’histoire… Cela peut très
bien n’exprimer qu’un sentiment, lié à mon existence, à une émotion, un désir,
une obsession. Ça parle souvent de sexe,
de flux, d’énergie vitale. »
L’artiste
présente la pièce dans le sens où elle a poussé. Son goût prononcé pour l’échelle monumentale
et massive du regard souligne cette verticalité sous l’émanation sexuelle du
phallus.
Ses
sculptures totémiques au design radical ont quelque chose de primitif, entre réalisme organique et ésotérisme. Ce
sont des pièces hallucinées qui pratiquent le volume avec une psychologie
interne. Un exemple de forces mentales et physiques où coexistent équilibre et
tension.
Les
sculptures d’Emmanuel Bour sont des aventures entropiques sous forme de
célébrations de la nature dans ce qu’elle a de plus surprenant.
(1) La femme serpent, bois de poirier, buis, clé, coquillage, ficelle, 170 x 55 x 4 cm.
(2) la jeune fille et le dragon, bois de poirier, buis, 60 x 120 x 6 cm.
photographies : Laurent Boetzle
photographies : Laurent Boetzle