Pour
articuler ses pans d’espace, Michel Alexis pense en volume et procède par
strates. La surface de sa toile est d’abord encollée de papier de riz. Il trace
des lignes en relief lorsque la colle est encore humide, et laisse délibérément
apparaitre les froissements et déchirures qui en résultent. Lorsque la colle
est sèche, il noircit entièrement la toile avec un lavis sombre, puis essuie le
tout énergiquement. Apparaissent alors
les accidents de surface. Chaque mutation laisse une trace. Bien après, des
formes, des motifs riches en huile viendront
se poser sur ce relief sec et tourmenté.
Le
travail de Michel Alexis est, initialement, une tentative de donner forme au
chaos de l'inconscient. Il joue sur les limites, sur les hors-champs, sur les
coupures. Qu’un revêtement en couvre un autre, qu’un plan passe devant un
second, la coupe et le déplacement sont partout. Dans son geste de mise en
abyme de la structure, sa main tient la hache.
L’artiste
scinde des espaces distincts pour donner un rythme à la surface. Ce syncrétisme
visuel joue des contrastes entre solidité et fragilité, entre la rigueur de
l’ornement et l’aléatoire du trait. Le jeu de ces forces s’applique à
contourner les contraintes pour révéler.
“Il
y a cette idée de mêler la violence du trait avec le décor bourgeois des
arabesques. J'ai besoin de ce contraste, lié à l'enfance, pour faire surgir des
formes incertaines, parfois érotiques.”
Epigram 20, 122 x 122 cm, tech.mixte sur toile, 2015 |
Ce
rapport de résistance et d’altération renoue avec le primat de l’expérience sur
l’œuvre.
Michel
Alexis semble pénétré par la géométrie, par sa dimension formelle, pourtant
l’équilibre se voit chahuté par un assemblage des contraires.
“La
construction géométrique ne m'intéresse pas vraiment en soi, j'ai malgré tout le désir de terminer sur un
équilibre fragile, qui garde la trace du mouvement, une sorte d'apaisement
après le remous des lames de fond. ”
Pour
se réconcilier avec ses mystères enfouis, l’artiste fait prendre au réel une
autre forme, qui n'est pas tout à fait la même et la rend étrangère dans son
nouvel état. Chaque tableau se transforme au fur et à mesure qu’on le regarde
en une scène où se noue et se dénoue le début d’une narration sans qu’elle ne
prenne véritablement forme. Par le jeu des aplats, des lignes et des fragments
de figures, la logique narrative reste en suspens. L’artiste revendique ainsi
la force imageante. Son exercice est même proche de la paréidolie, une sorte
d’illusion d’optique avec cette tendance naturelle qu’a le cerveau humain à
percevoir un élément clair et identifiable, souvent une forme humaine. Un
visage, les courbes d’un corps, un sexe… Le regardeur structure et transforme
sa propre perception. Ce mouvement de métamorphose théâtralise son art et
fonctionne comme une quête symbolique.