Fascinée par la lettre et le signe, et par leur disponibilité à s’arracher au sens, Marine Assoumov construit une poésie visuelle qui lui est propre.
C'est ment tique, collage sur papier, 15x15 cm, 2008 |
« J’ai toujours beaucoup aimé les histoires. Petite, je
voulais être écrivain. Je me suis ensuite penchée sur l’univers de la bande
dessinée et j’ai réalisé plusieurs albums. »
Le collage est pour l’artiste
une autre technique narrative.
Dans sa série Lettres anonymes, elle ne s’enferme pas
dans un procédé figé et tend vers deux axes de recherche. Elle active et
dramatise ses pièces par le collage « muet » où les fragments de papiers
sont sélectionnés pour leur matière et leur couleur et le collage « parlant »,
une sélection de signes où elle associe
des lettres qui créeront des mots, des expressions, des semblants de phrases. Par
glissement, elle opère pour faire chavirer le sens. Elle
sonde, du
lisible au visible, autant les qualités formelles que
sémantiques pour
observer ce qui dépasse le sens dans le mot et le perceptible dans l’image. « Le médium c’est le
message » au sens où Mac Luhan l’entendait, autrement dit c’est la
nature du support qui compte autant que le sens ou le contenu
du message.
Pour créer sa surface,
elle découpe, déchire puis assemble, entrecroise et colle par superposition du
papier journal, des publicités, des partitions de musique, des lettres
manuscrites ou typographiées d’alphabets lointains, cyrilliques ou asiatiques, du papier peint ou d’emballage cadeau, des
fragments de gravures ou de tableaux ou encore de la toile ou
du papier qu’elle peint elle-même à la gouache. La couleur participe au relief.
Certains tirent vers la planéité, d’autres vers un espace plus profond.
« J’aime donner un rythme à des éléments pris
individuellement. C’est un processus long. Pour le spectateur, j’apprécie
qu’il soit attiré
au premier regard et qu’il puisse en même temps faire l’effort d’entrer dans la
composition pour la décrypter. La
distance est importante mais je souhaite que l’œuvre soit aussi accessible à
tous, que le plaisir du regardeur soit immédiat et brut face à la composition,
la matière, la couleur. »
Tressage pas sage, collage sur papier, 15x15 cm, 2008 |
Marine Assoumov démarre
toujours un peu par hasard, selon son humeur du moment. Quelque chose se forme
petit à petit, les contours d’une histoire, l’intuition d’un récit qui restera
de toute façon dans l’énigme et qu’il faudra combler.
Elle oscille entre
l’agencement, le cadrage et le hors-champs pour révéler ce qui est latent. Le vertige
est babélien, polysémique, proliférant. Il s’en va coloniser l’étendue de la
surface jusque dans ses derniers retranchements.
Les repères spatiaux
sont déstabilisés et dévoilent un foisonnement sans hiérarchie. Une fausse
symétrie est pourtant apparente. Elle libère de nouvelles perspectives et fait
abstraction du centre en se focalisant sur tout le reste.
L’œil
perçoit dans un premier temps des fragments géométriques qui ne sont en réalité
que des formes aléatoires. Ces systèmes de visualisation abstraits, éclatés
font naître des apparitions qui entraînent ensuite des disparitions pour
renaître et disparaître à nouveau. Il y a toujours à regarder dans les collages
de Marine Assoumov. Mais tout est fait pour laisser le regardeur intervenir. Cette
plongée sensorielle est guidée par le titre, une part essentielle de son
travail ; à travers différents jeux de mots (c’est ment tique, Tressage pas
sage, hypnotik, ank pas der)
qui délivrent quelques indices de compréhension de l’œuvre tout en préservant
un espace de liberté d’interprétation.
Dans la droite ligne de
ses collages, l’artiste réalise des livres d’artistes où les mots ont aussi leur importance et où sur
la couverture, elle appose un collage. Au milieu des techniques, des contenants
et contenus multiples dont elle se nourrit et avec lesquels elle cherche un
juste équilibre, Marine Assoumov exprime avec subtilité son message singulier.