Accéder au contenu principal

Aliette Duroyon, immortaliser l’éphémère


Série Hokusai, 1 mètre x 1 mètre, mosaïque contemporaine à base
de couteaux et de ciment colle, 2015

Depuis son enfance, la plage de Hardelot sur la côte d’Opale est son repère d’inspiration. L’artiste y récolte des couteaux de mer, parfois des lutraires ou encore des écorces d’arbre qu’elle colle ensuite sur bois ou sur toile avec un ciment naturel.


Aliette Duroyon s’attaque ici au summum de l’éphémère ; la mer et la vague elle-même qu’elle inscrit dans l‘immuable.
Cette série, inspirée par l’estampe La grande vague de Kanagawa de Hokusai, fait écho au tsunami de 2004.
Pour reconstituer la vague dans son mouvement, l’artiste capte la beauté gracile du couteau de mer et le sort de son contexte environnemental. En rééquilibrant cette empreinte de la nature, elle participe de ce fait à un art écologique dans le sens où l’élément, réintroduit sur un support, est recyclé sans être dénaturalisé. 

Son approche formelle se caractérise par une pureté du vocabulaire. Elle convoque bien plus la fragilité et la délicatesse que la palette.
L’artiste écoute son désir de renouer avec la nature originelle pour ressentir la force des éléments et ses répercussions sur l’humanité.
« Je ne cesse de m’interroger sur ces phénomènes climatiques majeurs, sur leurs impacts, sur leurs causes, sur le rôle de l’homme face à tous ces changements. »

Aliette Duroyon attire notre attention sur la potentialité artistique du matériau réapproprié et son adhésion dans le monde de l’art comme œuvre à part entière. Sa sérialité et ses déclinaisons infinies, qui ne s’avouent pas comme telles, sont soumises à notre appréciation. C’est un véritable jeu d’opposition de la fonctionnalité et l’inutilité, du pérenne et de l’éphémère. Cette désorientation sensorielle participe au questionnement du cycle du vivant et son devenir.
« Il s’agit pour moi de cueillir la nature, admirer ce que l’on rejette, immortaliser ce qui va disparaître, en extraire la beauté. » 
Elle créée en volume son ressenti de la nature, offrant une véritable vision sculpturale,
expressionniste. Une parfaite lisibilité dans le montage de la forme participe à son attraction particulière pour le mouvement, provoquée par un choc artistique à 7 ans, l’âge auquel elle découvre Van Gogh.
« J’ai toujours été fascinée par la musicalité de sa touche et la vivacité de ses ciels, ils paraissent vivants, on sent le vent. »
Ce mouvement, l’artiste l’évoque à sa façon par les vagues et la houle qui viennent alternativement recouvrir et découvrir les profondeurs. On peut y discerner un sentiment oppressant. Sa technique d’accumulation comme l’espace de liberté de la surface parfaitement envahi, immergé, évoquent en ce sens la force de l’eau et de son pouvoir d’avancement irrémédiable sur les terres.

Ce rapport direct et frontal avec la nature convoque aussi une émotion réelle plus douce et optimiste.
« Dans un monde matérialiste, ressentir de vraies émotions face à la mer, à la beauté, aux éléments, nous aide à nous recentrer sur le réel et sur ce qui est essentiel (…) Chaque coquillage est précieux, il est tangible (…) Cette beauté originelle me redonne espoir et confiance en l’avenir. »
Par cette esthétisation de la vague, Aliette Duroyon glorifie et magnifie les forces de la nature. Ses œuvres disent la transition, le passage de la densité à la dissolution. Statiques sous nos yeux, elles s’inscrivent peu à peu vacillantes, mouvantes et vivantes dans notre espace mental.