New 1, technique mixte (huile, acrylique et bombe) sur toile,60 x 80 cm, 2017 |
Le concept était au départ utilisé en
physique pour exprimer la capacité des métaux à retrouver leur état initial à la suite d'un
choc. Il est plus récemment employé en
psychologie pour montrer la faculté des personnes à se rétablir après un
événement traumatique.
Pour l’artiste la résilience est un fil
conducteur qui ponctue sa réflexion picturale depuis des années ; une
façon d’exprimer son vécu.
Sa démarche se prête au jeu de la référence, celle
d’une œuvre du 19e siècle, Romains
de la décadence de Thomas Couture. Le peintre classique
voulait que son tableau suscite le renouveau de la peinture française en se
référant aux maîtres de la Grèce antique, de la Renaissance et de l'école
flamande. Emile Benard lui offre à son tour une
nouvelle vie.
Elle extrait pour se faire deux protagonistes décadents
qui participent à l’orgie. Isolée sur une toile
dans un format atypique de portrait allongé, leur étreinte désabusée acquière une
nouvelle sensualité et accentue leur présence, leur intention.
Si
le soin est pris d’évacuer le plus possible tous les signes qui pourraient
alimenter la dimension narrative, la tension et les points de déséquilibres des
corps parlent d’eux-mêmes.
Ce
jeu de cadrage original donne une impression de volume renforcé par un fond
vaporeux réalisé au préalable à l’acrylique. Le choix d’un arrière-plan à la texture flottante permet aux sujets de ressortir en lumière,
légers, dépouillés de leur environnement. L’artiste qui s’est formée
à la copie de tableaux anciens, reproduit
fidèlement les personnages à l’huile au pinceau sous des traits doux, délicats,
aériens.
Son procédé méthodiquement pensé trouve une
influence dans le Kintsugi, technique japonaise de réparation de céramique
brisée au moyen de laque saupoudrée d’or. Sur les lignes de cette technique, l’œuvre est
envisagée comme le début d'un autre cycle, avec une continuité dans son utilisation.
Il ne s'agit pas de cacher les failles mais de les mettre en avant, de prendre compte
la renaissance de l'œuvre, son histoire, avec les accidents éventuels et nécessaires
à sa création.
« Cette technique met
en valeur l’œuvre qui devient plus forte, plus belle. Après une brisure, c’est
une façon de la sublimer à nouveau, c’est une forme de résilience » commente Emilie Benard.
Pour faire renaître l’œuvre de Thomas Couture,
l’artiste opère une stratégie de dissolution. Elle détruit pour reconstruire, laissant libre court à la
surprise picturale.
Les ombres au pigment brun naturel de terre de Cassel, les
coulures dorées réalisées à la bombe participent, entre un geste maîtrisé et
aléatoire, à la déconstruction et à la fragmentation de l’œuvre.
Son
interprétation et ses distorsions ne lui font aucunement perdre sa
particularité. C’est en cela aussi que l’artiste accède à une forme de
résilience. Ce nouveau point de départ redonne à l’œuvre la puissance d’émerger
dans un contexte inédit.
Sans
unité de temps ni de lieux, cette nouvelle situation concentre le réel et
décentre la question du repère.
Dans
cette mêlée atemporelle, le couple vidé de son espace, se recharge par son
propre potentiel d’occupation et de déplacement. Il rebondit et impose une
confrontation en prise directe avec le regardeur.
Devant les tableaux d’Emilie Benard, la dimension est physique
et immédiate. L’entrechoc pictural laisse percevoir une étrangeté tangible qui réveille
une sensation de « déjà-vu » en prenant une toute nouvelle mesure sous
une esthétique du sublime reconstruit.