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Hélène Déry, graver le réel


« Utopia, montée », techniques mixtes : collagraphie, gravure sur bois, carborandum,  
55 cm haut x 70 cm large, 2012.
 
La multiplicité des techniques fait partie de la signature picturale d’Hélène Déry alias Hédé. L’estampe, la gravure, l’exemplaire unique du monotype ou les mues successives de l’eau forte sur cuivre, de la manière noire, du burin sur plexiglas, de la collagraphie sur isorel, carton ou papier, lui permettent d’affirmer une touche parfaitement identifiable où la ligne reste conductrice.

Les travaux de cette plasticienne québécoise qui vit entre Paris et Bruxelles portent les traces de la recherche et de multiples expériences.
Après avoir réalisé sa morsure, elle nettoie le vernis et ajoute de l’encre sur la plaque pour l’impression. Ce premier essai se renouvelle jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite de la représentation.
« Grâce à ces couches successives, chaque stade de ma démarche est enregistré. J’aime cette notion de mémoire des traces. »
L’artiste peut ensuite retenir l’explosion du motif par la minutie de son tracé en utilisant sa pointe, son burin, sa gouge mais aussi ses doigts et ses ongles (lorsque le vernis est au savon.) Elle gratte et fait apparaître des lignes nettes et plus mouchetées, en relief.
Le jeu des encres et de leur onctuosité, le collage de fragments d’eaux fortes imprimées sur du papier chinois transparent, permettent la rencontre de différentes textures et la mise en lien de lignes de couleurs avec d’autres lignes blanches accidentelles.

Ses œuvres prennent une toute autre dimension avec la collagraphie et les matières travaillées sur plaque d’isorel. Elle peut y ajouter du carborundum, une poudre de métal très abrasive qu’elle saupoudre dans une pâte acrylique connue sous le nom de « modelling paste ». Le support devient ainsi caractéristique par son grain et son épaisseur.
Hélène travaille des chromatiques de brun, de jaune, d’ocre, de sépia, de bleu…
Ses compositions sont des fragments, des puzzles inspirés de la nature, de la forêt, des arbres, des branches, des ombres la nuit et de la pierre.
« La pierre m’a beaucoup appris, c’est pour moi le livre de la terre. »
Les stratifications de la vie la passionnent. La superposition de ses différents procédés évoque la matière terrestre et ses couches successives. C’est aussi pour l’artiste une vision fragmentaire de l’Histoire que l’on ne connaît que partiellement et que l’on absorbe par bribes.

Entre les nivellements, les déchirures, les débordements, son geste se confronte à la matière. « Je sors du cadre car l’Histoire continue… »
Les œuvres mouvantes d’Hélène sondent en permanence les possibilités d’échappatoire face à l’encadrement. Elles se lisent sans unité de sens, de temps ou de lieux. Entre le passé, le présent, l’ici et l’ailleurs, elles chahutent le questionnement sur nos racines en nous propulsant vers une force délicieusement onirique.

Il s’agit de s‘inspirer du réel pour le fragmenter dans une dualité permanente entre figuration et abstraction. Dans cette accumulation de traces, de paysages balayés, Hélène Déry laisse le regardeur pénétrer l’antre qu’il discerne. Cette impression de surgissement peut se révéler sous les contours d’une île, d’une grotte, d’une forêt, d’une carte au trésor, d’un parchemin calligraphique, de traces primitives… Autant de territoires qui se toisent, s’apprécient et se mesurent. Ces surfaces de création s’arpentent en toute liberté.  La technicité maîtrisée de l’artiste laisse aussi exprimer la surprise picturale afin que l’aléatoire délivre la matière de son carcan.
« Le lâcher prise qui permet l’imprévu ne doit pas laisser l’artiste inattentif. Il faut pouvoir prendre le virage et laisser apparaître le mirage. »

A la lisière de l’explicite, entre l’apparition et la disparition de l’image, des univers harmonieux ou plus tourmentés prennent vie. Hélène Déry grave son hommage abstrait au réel. La confrontation des parties, la superposition de matières, d’encres, de lignes étirent sa vision du monde et laisse présager l’ouverture de perspectives. Cet espace du possible où l’infiniment petit devient monde, révèle la permanence du questionnement existentiel de nos origines présent au plus profond de chacun d’entre nous.