L’artiste se promène chaque matin dans le bois de Vincennes, près d’un centre ornithologique. Ce rendez-vous en communion avec la nature est une démarche méditative et créatrice qui lui permet de révéler par la photographie des passages éphémères sur le paysage à travers sa série « La sphère des oiseaux. »
Colonne à la goutte 1, 2016, 18 x 60 cm,
tirage
musée sur papier Hahnemuhle,
contre collage alu 1 mn.
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Avec un réalisme éthéré, elle
recense de curieux désordres, zoome sur des infimes déplacements entre ciel et
terre. Magali Léonard photographie dans l’instant, sans mise en scène, des
plumes de cygnes et d’autres oiseaux qu’elle découvre par hasard à même le sol.
La plume est une apparition qui devient l’élément d’ancrage ; la trace esthétique
de sa vision délicate, fugitive et aérienne de la nature.
L’exploration de ce monde en noir
et blanc met en exergue le duvet de la plume.
Cet effet de texture sans
retouches ni filtres focalise sur le pli du blanc et celui de la lumière, des thématiques
chères à l’artiste.
L’ombre et la lumière, la mort et
la vie sont à la lisière de l’inquiétante étrangeté évoquée par Freud où le
beau et l’informe, le vide et le plein, le domestique et l’inconnu dialoguent.
Une aile arrachée révèle cet
équilibre de forces. La tension dramatique glisse de la scène vers le détail
permettant à l’anecdotique de devenir signifiant. Une goutte d’eau de pluie, le
givre, une mouche… Sont autant d’indices
qui attisent l’œil. De gauche à droite, le regard avance et se retourne pour
vérifier la nature de l’espace visible. Cette oscillation permet une
distanciation avec le réel, entre des possibilités de reconnaissance et des
associations fictionnelles.
La mise en scène est réalisée sur
un rouleau de toile de 8 mètres de long qui s’apparente à une pellicule
photographique en grand format. La lecture sans début ni fin du support imposant
permet la circulation spatiale autour de l’œuvre.
Avec une partie non déroulée, non
visible, volontairement en devenir, le spectateur est invité à développer
lui-même la fin de la pellicule.
Cinq colonnes de photos imprimées
sur aluminium accompagnent le rouleau déployé.
Dans une continuité savamment
pensée, cette dynamique d’ensemble fait apparaître l’image
rémanente. Toujours différente et jamais capturée au même endroit, la
plume se meut. Chacune contient une histoire que l’on caresse du regard. Elle
nous effleure dans un espace d’exposition, propice à l’extension, au
déroulement d’une fiction qui ne saurait se figer. D’une réalité à l’autre,
elle ouvre par le passage de la vue et du toucher sur les dimensions d’un lieu
partagé.
Fugitives et quasiment oniriques,
les photographies de Magali Léonard génèrent la sensation diffuse de se trouver
en présence d’un phénomène insaisissable. Elles provoquent des événements
visuels dans un rapport fondamental à l’espace et au temps où la question de la
perte des repères est centrale.
Chacun est libre de se promener
et se perdre, creuser son sillon, suivre la trace d’un sens caché en
contemplant ces scènes à l’état naturel, belles, énigmatiques et poétiques.
Fugitive Feathers
Every morning, the
artist walks near an ornithological center in the Woods of Vincennes.
This
rendezvous in communion with nature is a meditative and creative approach that
allows her to reveal, through her photography, the transient passages on our
landscape in a series entitled “The Sphere of Birds”.
With
an ethereal realism, she takes note of curious anomalies, zooms in on tiny
movements between sky and earth. Magali Leonard photographs in the
moment, without staging, feathers of swans and other birds, which she happens
to come across. The feather is an apparition which becomes the anchor, the aesthetic
mark of the artist’s delicate, fleeting and aerial vision of nature.
The
down of the feather is highlighted when exploring this world of black and
white. This texture effect, without retouching or filters, focuses on the fold
of white and that of light; themes that are dear to the artist.
Shadow
and light, death and life, are at the fringes of the disturbing strangeness
evoked by Freud, where the beautiful and the shapeless, the void and the full,
the domestic and the foreign converse.
A
torn wing reveals this balance of forces. The dramatic tension slides from the overall
picture to the smaller details, which give meaning to the seemingly
insignificant. A drop of rainwater, frost, a fly… are among the many details
that draw the eye. From left to right,
our gaze advances then turns back to probe the nature of the visible space more
closely. This oscillation creates a
distance from reality; between the possibilities of recognition and fictional
associations.
“The
Sphere of Birds” is presented on a roll of canvas, 8-meters long, resembling photographic
film in large format. With neither
beginning nor end, one is free to move around this imposing structure. Part of
the work has been voluntarily left unrolled, hidden from the spectator, still
to become. We are invited to imagine and “develop” the end of the film for ourselves. Five columns of photographs printed on aluminum accompany the rolled
canvas.
In skillfully planned continuity,
the ensemble’s dynamics reveal the afterimage. The feathers are in motion, always different,
never captured in the same place. Under our gaze, each has a story to tell. They
stir our senses in an exhibition space, the perfect backdrop for the further
expansion and unfolding of their ever-changing tales. From one reality to another, though the
passage of sight and touch, they lead us into a shared space.
Fugitive and almost
dreamlike, Magali Leonard’s photographs generate the vague sensation of being
in the presence of an elusive phenomenon. They provoke visual experiences with a
fundamental link to Space and Time, with loss of reference as the central
notion.
One is free to wander
and lose oneself, cultivate
one’s own interpretations, to follow the trace of a
hidden meaning, while contemplating these natural, beautiful, enigmatic and
poetic scenes.
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L’absorption du réel
Du papier à la toile, la photographie devient peinture. Ses œuvres illustrent
une nouvelle captation du monde ; celle d’espaces ouverts, de mouvements
continus et enluminés où le noir et le blanc font place à la couleur pour
laisser le réel se graver en fond.
Sous l’impulsion de son corps, par
l’élan de ses bras, elle projette, déverse sans uniformité en surplombant et en
tournant autour de la toile. Cette
chorégraphie picturale éloigne ses travaux de la technique du all-over qui occupe
toute la surface de composition.
Dans une onctueuse fluidité, les
couleurs liquides s’échappent, transpirent par endroit. Des parties de réserve nées
de l’aléatoire apparaissent lumineuses.
Sans être convoqués, ces halos aux tonalités blanches créent une tension
palpable entre les espaces.
« Ces halos récurrents apparaissent dans les moments intenses de
création. Ils renvoient à l’acte même, aux origines » poursuit Magali.
L’acte créateur, la source
originelle, cosmique, initiatrice de vie constitue le thème de recherche qu’elle
développe dans Cosmogonie ; sa série en
quête des éléments créateurs ; le feu, la terre, l’eau, l’air…
L’air et la dynamique du souffle sont
un fil conducteur. Une nouvelle respiration s’installe dans la série Opening où une ouverture réalisée par un
geste circulaire accueille l’écho d’un tracé entre la maîtrise et la
contingence.
« Si c’était une musique, ce serait un coup de Gong » explique-t-elle.
L’atmosphère presque
instrumentale se lit comme une expérience sensorielle.
Le geste et la couleur affirment avec résonance des amorces arrondies, chromatiques et rayonnantes jamais fermées.
Le geste circulaire la conduit
vers la ligne. Les Traversées
évoquent un voyage où l’artiste parcourt l’Amérique en train de New-York à San
Francisco sans arrêt.
Cette continuité spatiale met en
relation plusieurs pans autonomes et contigus qui se répondent. Leur
articulation forme un tout qui est plus que la somme des parties. Ses paysages
mentaux sont le véhicule d’un univers fragmenté, une succession d’atmosphères
aptes à rendre un point de vue.
« Ma peinture c’est de la présence au monde. »
Travaillées à vif, les traversées,
à chaque fois singulières, diffusent un climat, un arrêt suspendu dans le temps
qui prête à l’interprétation.
Tel un retour aux sources
photographiques, ses derniers travaux sont un réinvestissement en couleur de
ses photos. Ils s’appuient pour cela sur une photo d’une penne en noir et blanc choisie parmi toutes pour son aspect
tricolore.
« Ce drapeau apporté par la
nature est un clin d'œil magnifique que je ne pouvais pas manquer. »
Sur papier Velin d’Arches, un
support épais et absorbant, la photo de la plume est intégrée et portée à échelle
plus grande ; celle de son nouveau support. Avec ses outils, elle
intervient, peins, gratte, construit avec ce qui échappe. La plume devient
prétexte et se fond avec équilibre dans une éblouissante harmonie. Le tracé
s’offre en plénitude. Il porte en lui la mémoire de la matrice-plume disparue
en creux, hors-champ. Les trois rayures de la plume s’éclipsent et se
projettent dans les tonalités dominantes tricolores de la toile. Le
rapprochement des couleurs créé des profondeurs et des reliefs. Dans cette
absorption visuelle, l’artiste rejoue le réel et lui confère des incarnations
abstraites.
De ses déplacements constants,
Magali Léonard saisit l’immédiateté. Dans la curiosité d’un ailleurs à même de
se révéler à chaque regard, ses travaux sont une invitation à apprivoiser
l’évanescence picturale.
(1) Pas la penne 4, 2017, technique
mixte sur Velin d'Arches, 103 x 66 cm
(2) Pas la penne 5, 2017, technique
mixte sur Velin d'Arches, 103 x 66cm
Absorption of the Real
From paper to canvas, a photograph becomes a painting.
Her works portray a new way of perceiving the world; a world of open
spaces, continuous and illuminated movements, where black and white give way to
colour, allowing the tangible to etch itself into the background.
Physically acting out her body’s inner impulses, her arm gestures
fluid and free, she spontaneously projects and releases the paint from above as
she circles the canvas. This pictorial choreography distances her from the all-over
technique that occupies the entire surface of the composition.
In unctuous fluidity, the liquid colours escape onto the canvas and,
in places, perspire.
Reserve areas, born of the unpredictable, appear as light. Appearing
spontaneously, these luminous haloes in shades of white create a palatable
tension between the spaces.
“These recurrent halos appear
in moments of intense creation. They are the reflection of the act itself, of
its origins,” explains Magali.
The creative act, the original source, cosmic and initiator of life,
constitutes the research theme developed in her “Cosmogonies” Series, in search
of the creative elements; fire, earth, water, air…
Air and the dynamics of breathing are a common thread.
A new breath is taken in the “Opening” Series, where an opening,
made by a circular gesture, holds the echo of a line between mastery and
contingency.
“If it were music, it would be
the sound of a gong,” she explains.
The almost instrumental atmosphere is received by the viewer as a
sensory experience.
Gesture and colour resonate in curved beginnings; colourful, radiant
and never closed.
This gestural and marked engagement with the canvas is felt in the
very fibre of the painting. Like the Japanese calligrapher, Magali Léonard works
in rapid, flowing motions to capture the moment.
Circular gestures lead her towards line. “Crossings” recalls the
artist’s express journey by train across America, from New York to San
Francisco.
Echoing this spatial continuity, a series of independent and
adjoining panels, which intercommunicate, are brought together. This connection
forms a whole amounting to more than the sum of its parts. These mental
landscapes are the vehicle of a fragmented universe; a succession of atmospheres
capable of exposing a point of view.
“My painting is the idea of presence
in the world.”
Executed in the moment, each unique piece of “Crossings” creates a
distinct mood; a suspended pause in time that invites interpretation.
Like a return to photographic sources, her latest works are a coloured
rendition of her photos. They are based on a black and white photo of a large
feather, chosen for its tricoloured appearance.
“This flag brought by nature
is a wonderful sight that I could not fail to notice.”
On Velin d’Arches paper, a thick and absorbent medium, the photo of
the feather is integrated and enlarged on a greater scale in order to fit its
new support. With her tools, she intervenes, paints, scrapes and builds with
what has emerged. The feather becomes a pretence and blends into the image in resplendent
harmony. A myriad of traces are left behind, full of the memory of the original
feather, no longer apparent. The three stripes of the feather disappear and are
cast into the dominant tricolour tones of the canvas. The combination of
colours creates impressions of depth and relief. In this visual absorption, the
artist re-envisions reality in an abstract form.
Through her constant movement, Magali Léonard seizes the moment. In the
curiosity of an Elsewhere, able to reveal itself at each glance, her works are
an invitation to grasp the evanescence of pictorial art.