Elle recrée des paysages que l’on rêve ou que l’on
devine dans les interstices du réel. Son travail s’incarne en formes simples,
minimales, verticales et plus éparses.
Elle puise son inspiration dans les fragments de l’environnement, des éléments propices à l’harmonie, des chocs esthétiques qui éveillent sa
curiosité autour de la couleur. Françoise Suzanne regarde la nature avec un point de vue. De la longue
ligne d’un tronc d’arbre, elle apprend comment la grâce se marie à la dignité,
comment la force donne du relief à la douceur et dont l’élégance sera le
résultat. Elle trouve des indices pour ses propres combinaisons ; des
fragmentations du réel qui distillent l’éternel. Avec la démiurgie de l’abstrait, elle rejette le réalisme. La plupart des détails disparaissent, laissant
émerger la suggestion à l’aide de son couteau, son pinceau, sa pipette et autre
bâton.
« Le pays
du rêve » n°2, 50 x 35 cm, acrylique sur papier yupo
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Les arbres sont dépouillés, chargés de symboles. Ce
sont des cyprès de Toscane, des bambous,
des torii japonais. « Droits,
élancés, ils donnent à la fois, rythme, sérénité et élégance au paysage. »
Après avoir longtemps travaillé à l’huile, elle privilégie désormais
l’acrylique qu’elle associe à des résines, des gels sableux, quelques touches
d’huile, des collages parfois sur plaques d’aluminium et la plupart du temps
sur papier LanaVangauard, un support blanc, brillant et lisse.
Le tracé cadencé
vertical se transforme en mouvement, en image hypnotique. Les
lignes s’habillent de couleurs à la palette réduite. « Moins de détails, moins de teintes.
Les formes se géométrisent, je simplifie (…) De plus en plus partagée entre la
ligne, le point, et la tache. » Ce poudroiement dématérialisé d’une
présence spatiale, cosmogonique, extensible, réunit des filaments visibles et des repères qui
s’attachent à un réseau lumineux, rythmé et nerveux. Le chaos visuel ne manque
pas d’harmonie. Il libère une sensation d’accident et d’instabilité qui interroge
sur la source créatrice. Il est question de perte de repères.
Certaines toiles au fond noir invitent à pénétrer dans la pénombre naissante du
soir où les aplats et points de couleurs s’apparentent aux lueurs des astres. Sous
cette nuit étoilée, l’artiste nous pousse à imaginer des mondes cachés, là-même
où l’obscurité permet de mieux voir.
« Le rêve
du papillon » n°11, 30 x 30 cm, acrylique, collage sur papier
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Un clignement de paupière, un battement d’ailes… Celui
d’un papillon, fait écho à cet infime engrenage qui peut provoquer d’incroyables conséquences. « Ce
papillon, léger, délicat, éphémère, qui papillonne de fleur en fleur, de tache
de couleur en tache de couleur est le symbole, dans toutes les cultures, de la
métamorphose, de l’évolution, du mouvement, du beau (…) Le battement de ses
ailes exprime à la fois la fragilité de notre environnement et notre capacité à
nous mobiliser pour changer nos habitudes (…) Il est l’expression d’une pensée
positive. »
Le papillon rythme le discours esthétique et prend
valeur de parabole. Il s’élance, tournoie dans les halos de clarté, fonce dans
les éblouissements. Entre illumination et nébulosité, les
travaux de Françoise Suzanne sont d’inépuisables prétextes au songe. Dès qu’on
les regarde ou les rêve, leur potentiel se multiplie, se transforme par déploiement.
La composition mue, s’engloutit, disparaît un instant et réapparaît plus loin.
Et là en effet, dans cet étirement du champ des possibles, la magie opère.