Elle creuse l’espace ténébreux où tout se décompose... Le travail de Mélody Seiwert est animé par une obsession : tenter de rendre visible les processus vitaux dans le corps et la matière vivante. Finalement, l'approche de la finitude et de la décomposition par l’image photographique, ses procédés et ses techniques singulières, vont, jusqu'à ce jour, graver son parcours.
On
entend le memento mori* dans sa démarche. Un cheminement
d’un monde à l’autre, un voyage dans lequel rien ne se perd, tout se
transforme, les hommes, la nature, les végétaux… L’artiste capte par la
photographie ce qui évolue au sein de la grande chaîne du vivant, le processus d’érosion, de putréfaction mue par la fascination
qu'elle voue à l’empreinte du temps dans la matière :
« La
dégénérescence, la mort peut nous délivrer de l’esthétisme et là réside la
beauté. Que ce soit dans les visages aux peaux parcheminées et
aux regards lumineux des centenaires que j’ai photographiés ou dans ces
végétaux en état de décomposition continue qui se colorent de teintes fines,
verdâtres et dorées, j'observe et j'aime ce qui se révèle à moi »
Poétique de la putrescence, 2016 |
Dans sa série Poétique du
végétal, au gré de son intuition et de la rencontre avec les aléas de
la matière en mutation, l’artiste intervient sur l’état de bouleversement de la
nature, se laissant guidée par des signes graphiques ou des couleurs
émergentes nés des textures et des formes furtives et singulières. Elle
décortique les fleurs, prélève des pistils, pétales, étamines, les soumet à l'œuvre
du temps.
Son
geste donne naissance à une autre réalité, sans pour
autant annihiler le réel de l’évolution. Les
éléments en mouvement se combinent pour prendre la forme d’entités
syncrétiques. Ils disparaissent pour réapparaitre comme en apesanteur ou dans
la fluidité d'une sécrétion secrète, saisis par l'artiste dans le flux de
séquences chorégraphiques.
Surgissent
alors des formes abstraites, des paysages
imaginaires se déploient,
des signes iconiques tels d’étranges créatures vont suggérer des perceptions plus
archaïques... La photographie intervient alors en guise de
catharsis, de momification du temps afin de mettre de l’ordre dans le chaos et
capturer l’éphémère. « J’aime jouer
avec la matérialité du médium, explorer ses potentialités plastiques à travers
l’expérimentation, la palpation, la trace, l’empreinte… Laisser le temps agir,
me laisser guider par le hasard. »
Les impressions numériques sont être reproduites le plus
fidèlement possible, sans artifice.
Cosmogonie, 2017 |
Mélody
Seiwert rend compte de la richesse de l’organisme en convertissant l’élément
naturel en matière plastique. Elle dissèque l’essoufflement de la forme. L’extase est poétique,
tendre et mélancolique car la mort est bel et bien une transformation de la
vie.
Ses
travaux non rien de figures mortuaires et sont fort loin de la finitude
angoissante. Ils révèlent la permanence de questionnements existentiels où les
élans d’Eros et Thanathos fusionnent. Son éloge parvient même à détourner ses
sujets de leur destin. « (…) Sous mes
yeux se dévoile un univers d'une beauté étrange. Les végétaux deviennent comme
une membrane animale ou humaine. Ecorce ou carapace. S'ouvre alors une voie
lactée de paysages lunaires… Comme si la fleur contenait en elle tout le
cosmos. »
Mélody
Seiwert perçoit les enjeux de l’art comme une
alchimie, un processus de métamorphoses, de conversion du
réel.
Déposé
au seuil de son imminente destruction et de son éphémère absolu, l'artiste
laisse à la logique organique le soin de revitaliser sa contingence en
substance pour scintiller sous un nouvel enchantement.
* « Souviens-toi
que tu vas mourir »