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: La reine en chemin, acrylique sur châssis, marouflage, 2014. |
Entreprise il y a 40 ans, cette série « figurative à tendance imaginaire » produit un sentiment d’éternité et nous invite à déterminer la présence d’un royaume où chaque être est roi.
Anna Grazi agit sur le passé depuis le présent. «
Cette série débutée en 2009 est l'aboutissement d'un travail entrepris depuis
le milieu des années 70. »
La toile subit de subtiles métamorphoses guidées
au départ par le geste aléatoire. Au couteau à l’acrylique, l’artiste
superpose, gratte, évide, maroufle, décline. « Mon unique préoccupation est de
multiplier les couches de peinture afin de créer de la matière, des aspérités,
sans tomber dans le piège de la structuration uniforme ».
La nature plastique de la toile renvoie aux
origines du papier, le cuir d’un parchemin, un support précieux témoin d’un
message ancien. Papier de soie, papier journal, colle, pâte à structurer,
peinture séchée récupérée sur la palette ou les tubes, carton ondulé, débris de
boîtes de conserve rouillées sont autant de matériaux utilisés pour participer
à la construction de la surface.
De cet état de bouleversement chaotique et
informe surgit alors le détail; le déclic, une coïncidence sans forme
persistante qui guidera progressivement la création de la figure. Sous un geste
cette fois plus ordonnancé, l’identité se créée. Un personnage imaginaire au
visage anonyme surgit de l’anarchie structurelle. Habillé de lumière, de
dorures, il arpente l’espace, parfois couronné, préservant le secret de son
origine et de sa véritable signification presque impossible à décrypter.
« Ces
sentinelles, gardiens de la mémoire, héros des temps anciens (…) sont là pour
évoquer, souffler leur histoire, entre instants de bonheur et brisures (…) A
chacun de se plonger dans la toile, observer, écouter, se laisser emporter dans
les lointains voyages de ces personnages et pourquoi pas, effleurer leur âme
(…) Chaque être est un roi, un être précieux ».
Les détails s’entremêlent aux possibilités de
récits tout en laissant à l’état d’énigme le spectateur qui pourra fabriquer sa
propre histoire.
Les silhouettes aux visages étouffés
expérimentent l’inerte en susurrant leur impossibilité de dire. Elles sont
pourtant bel et bien les représentations spectrales issues des souterrains de
l’imaginaire collectif. Leur condition accidentée, leur capacité d’abstraction,
de survie, de rêve expriment leur présence gracile. Dans ce jeu entre
surgissement et dissolution, le réel est dématérialisé et absorbé. Pour contrer
la disparition du visible, l’artiste n’hésite pas à jouer avec la tentation du
motif, de la volute, du cercle, accentuant la symbolique du sacré et de
l’éternel.
« Le cercle, forme parfaite, de vie, d'éternité, d'infini, est ici
utilisé pour l'aboutissement de l'œuvre.»
Entre le détail et le tout, Anna Grazi éveille
l’idée du fini, de la perfection en capturant la présence évanescente pour en
exprimer la permanence. Une conscience du passé et possible survivance
resurgissent de ses œuvres pour écrire les mémoires à venir.