Regarder les arbres autrement est une intention profonde de montrer le visible derrière l’opacité dans un monde où la Nature disparaît afin de témoigner de ce qui doit être potentiellement sauvegardé.
Constance Fulda a pour objectif persistant de magnifier l’arbre en rendant visible ce qui
se dérobe sous nos yeux comme autant de présences, de signes qui s’effacent et
que l’on doit décrypter avant la disparition. Mûrier, cerisier, papayer, chêne,
platane… Ici et ailleurs, l’artiste est happée par la présence et l’histoire de
chaque arbre, symbole de recueillement, de culte, ou de toute autre valeur qui
lui confère une indentification. Elle aime s’attarder sur ceux qui persistent à
la disparition inexorable opérée par la dégradation du temps et de l’Homme. Un
olivier de 2 500 ans, une souche de 33 millions d’années issues des carrières
francilienne et aujourd’hui exposée au jardin des plantes, comme le plus vieil
arbre de Paris planté en 1601 au square Viviani devant Notre-Dame font partis
de ces sujets. « Je suis aujourd’hui
capable de distinguer à peu près l’âge de l’arbre, de savoir s’il a vécu
tranquille ou perturbé. »
Ni
démonstrative, ni discursive sa pratique expérimentale est un clin d’œil à la transcendance
et à la renversante catastrophe écologique.
Elle
confronte régulièrement l’écriture à l’empreinte, son travail pourrait être un
poème japonais, un véritable haïku. Plusieurs poètes ont d’ailleurs posé leurs
mots sur ses créations. Qu’elles soient exposées dans un temple à Kyoto ou au
jardin du Luxembourg à Paris, ses œuvres expriment ce langage universel que
chacun peut déchiffrer. Il nous invite à ralentir, à regarder, s’extasier sur
ce que nous disent les êtres les plus silencieux du règne végétal.
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Caralllia, fusain et brou de noix, 2013, 36 x 23 cm |
Des
paravents aux panneaux polyptiques, elle accède à la toile en recensant dès-lors
plus de 1000 empreintes capturées sur l’écorce des arbres. Son procédé
technique, souvent spectaculaire, se réalise en public. Une feuille de papier déposée
sur une parcelle du tronc, humidifiée si besoin, est le support initial où un
rouleau de peinture vinylique marque, par frottage, le relief de l’écorce. En pénétrant parfois jusqu’au libère (les fibres se trouvant sous l'écorce), de nouvelles strates
dans la profondeur se créent et laissent imaginer mentalement que la surface
peut se déployer encore et encore.
De
geste en geste, en insistant sur la répétition, une atmosphère se déploie. Les
traces visibles, abstraites, jamais récurrentes révèlent une rare conjugaison
entre une évidente lucidité et une puissante aspiration vers des abymes
hypnagogiques. Cette calligraphie propre à chaque arbre se dessine proche de l’Unheimlichkeit, si chère à Freud, là
où le connu se transforme et où le même devient autre, dans les plis du réel où
réside le mystère.
Les
rendus de lumière et de matière sont privilégiés développant une véritable
démarche minimale. Le papier imprégné est ensuite inséré sur toile, Dibond,
bois, tissu... Quel que soit le support, le spectateur est invité à toucher,
palper la délicate profondeur de l’œuvre.
Dans
cet exercice, l’artiste n’intervient pas sur la trace. Mais elle peut aussi retranscrire
ce que le réel lui inspire avec le pinceau ou en fabriquant ses propres outils,
guidée par la maîtrise de son geste. Les tonalités noires qui apparaissent de
façon sérielle dans ses travaux, en référence à la calligraphie, sont parfois
chahutées par une palette plus large avec des pigments naturels reproduisant
avec une intensité picturale les effets de la nature.
Ses
travaux croisent de manière vertueuse intention et intuition et suscitent des
effets sensoriels apaisants, de contemplation, de recueillement et d’évasion. Plusieurs
voyages en Asie permettent à l’artiste de nourrir cette intention. « En Inde et au Japon, les hommes ont
un grand respect pour les arbres qu’ils laissent vivre, vieillir. »
Constance
Fulda est en résidence permanente dans la nature. Elle nous projette dans un
voyage qui nous est la plupart du temps imperceptible ; entre force et fragilité,
immuable et éphémère. Ses traces mémorielles sont une plongée dans la substance
du monde et résident dans l’essence même de la pérennité.