Cette série de photographies réforme la
perception du paysage urbain. Elle recrée un monde suspendu, fermé,
hallucinatoire, utopique. Une
hypermodernité recomposée numériquement où les avatars de la monumentalité
règnent.
Des tours d’immeubles agglutinées
composent un motif qui dramatise leur verticalité. Très peu de retouches
accentuent les caractéristiques plastiques des photographies recadrées,
déployées, multipliées par deux, par quatre, laissant émerger des scènes qui
s’apparentent à des images fractales ; une certaine transposition
kaléidoscopique.
A côté des buildings, des stades,
casinos, usines de pétrole, et autres temples modernes, s’affirment comme les
nouvelles cathédrales d’un capitalisme jaillissant où le gigantisme s’exprime à
outrance.
« Ces
endroits sont des non lieux. Ce sont de villes flottantes, des nouveaux ghettos
où la froideur de l’architecture se ressent entre fascination et répulsion. Un
monde sans environnement avec un anonymat et une uniformisation qui aboutissent
à la disparition de l’espace public. Il y a cette volonté de récréer dans une
sphère fermée, un monde parfait, aseptisé, factice dont on se fait aisément
éjecter. »
Hervé Perdriel démantèle symboliquement
l’autorité exercée via l’architecture et l’urbanisme. En soulignant
l’orthogonalité emblématique de la modernité, la manipulation de ses images
renverse le rapport de force historique entre les cultures occidentales et
orientales. Il promulgue un nouvel ordre, une structure contemporaine où
l’élévation rythme le devenir.
« On
voit la différence entre l’ancien et le nouveau monde. Il y a l’Europe
vieillissante et un nouveau centre de gravité qui se déplace vers l’est, vers
Dubaï, Bahreïn, puis Singapour, Macao… »
La hiérarchisation de la perception se
trouble. Le fond et la forme, la base et le sommet ne tiennent plus. Des
altitudes aux abysses, ce précipice inversé convoque le vertige et le
déracinement. L’illusion aborde l'utopie et la dystopie. La dichotomie entre
ces deux concepts reflète un temps d'accélération paradoxale, où coexistent
l'anxiété et l'optimisme. Les fictions architecturales globalisées d’Hervé dépeignent
une société imaginaire organisée de telle façon qu'elle semble empêcher
d'atteindre le bonheur, une société parfaitement organisée et centrée sur
elle-même, fondée sur les craintes humaines.
Ces mirages urbains sont des monuments
visibles et muets qui imposent leur victoire aux habitants en dominant l’espace
physique et mental. Ici le déséquilibre renvoie aux inégalités du monde,
qu’elles soient d’ordre culturel, identitaire ou financier. Les tensions et la
relation au temps se mettent en place. Avec la création de ces réalités
nouvelles, Hervé Perdriel relie le présent à un futur possible. Il témoigne une
fois de plus de son indéniable aisance dans la réappropriation des images et
d’une véritable esthétique de l’anticipation.