Il y a
d’abord une inspiration des grands espaces. « Ce
sont les formes et les couleurs des déserts du Sahara et du sud-ouest américain
qui sont profondément imprimées dans mon âme. » Mokha Laget vit au Nouveau Mexique. Son expérience
des traversées de lumières, de couleurs des terres s’envisage
comme une suite d’impulsions visuelles qui constitue la matrice de ses toiles.
Ses « shaped canvas » de structure géométrique évoluent
selon leurs propres lois et surprennent
en créant un trouble interprétatif durable.
« Le regardeur se trouve devant
une ambigüité perceptuelle, devant de multiples plans ou points de vue.
L’esprit tente de résoudre le paradoxe puis se rendant compte de cette
impossibilité, se retrouve dans la contemplation pure. »
Les tableaux agissent comme
des irruptions dans l’art. Ils explorent la pertinence d’une jonction entre la
peinture et l’architecture. Leurs points de fuite prolongés hors cadre, la
compression des plans, les inversions d’espaces participent aux perturbations
optiques qui altèrent la vision et renforcent l’ambigüité.
Le concave oscille avec le
convexe, l’espace bidimensionnel avec le tridimensionnel, la transparence avec
l’opacité, le scientifique avec le poétique. Ce qui est devant passe derrière
et vice-versa. Tout dépend de la manière dont on se focalise. On croit
distinguer les tétraèdres, hexaèdres, octaèdres ou autres solides
empruntés à la géométrie sacrée platonicienne. Mais malgré leur apparence de relief,
les surfaces sont entièrement lisses. Ce jeu de perspectives faussées s’appuie
sur les angles aigus, droits, obtus qui forcent la dynamique et conditionnent l’œuvre
en déplaçant son centre de gravité.
L’artiste est
une collectionneuse de pigments. Depuis toujours elle recueille des poudres éclatantes
au cours de ses voyages. Elles les
intègrent à divers liants ainsi qu’à des peintures
vinyliques ou des peintures à base d’argile sur toile de coton tendue sur un
châssis construit.
Elle se débarrasse du
signifiant en altérant singulièrement la relation de l’œuvre à son
environnement. Des rapports presque
métaphysiques s’articulent entre les espaces. La complexité rythmique de la
superposition des aplats de couleurs, du plus éclatant à l’atone, évoque la
grammaire de l’art syncrétique inspiré des canons structurels de l’école de
Josef Albers, du « color field movement », du « hard-edge »,
du mouvement « light and space » californien ou encore de l'École
des couleurs de Washington.
« L’idée est de ne prioriser ni la
forme, ni la couleur, mais de les mettre en interaction inextricable à titre
égal. »
Le principe
de séquence et de répétition construit une suite d’œuvres qui peut sembler
infinie en faisant basculer la composition pour changer radicalement l’aspect
final.
Les tableaux
fonctionnent ainsi comme des dispositifs à générer de l’attention. En
adjoignant les œuvres dans un accrochage composite qui prolifère au mur, leurs
multiples variantes créent des résultats très divers aux différences visibles
et invitent le spectateur à une lecture rhizomatique.
L’idée de
rationaliser le paysage et la géométrie témoigne de notre désir ancestral de
maîtriser et structurer l’espace.
« Les composantes géométriques ont
toujours fait partie de mon travail artistique. Elles découlent sans doute de
mon intérêt pour les systèmes scientifiques inventés par l’Homme pour organiser
son univers personnel. »
Sa recherche technique, son
souci constant des matériaux et des textures, sa préoccupation d’équilibre et
d’harmonie sont autant d’éléments qui soutiennent l’abstraction formelle des
éléments ludiques de Mokha Laget. Son travail est un jeu abstrait de l’esprit
qui frappe par la pertinence et l’originalité de son énigme plastique.