L’exposition Frères Humains* conçue comme un Memento
mori, un parcours esthétique, appelle à la fraternité et à la
spiritualité pour surmonter les craintes des Hommes.
Le titre de l’exposition est un emprunt au poème de François
Villon La ballade des pendus rédigé sous forme de testament où les morts
s’adressent avec ironie aux vivants afin de solliciter leur pitié, leur
indulgence et leur pardon. Evelyne Huet est une artiste humaniste qui touche
quelque chose d’universel. C’est avec une sincérité frémissante et amusée
qu’elle rassemble ici une galerie de portraits sous forme de fragments de
l’humanité.
Peints
au doigt sur tablette numérique puis imprimés sous Diasec, les Frères
Humains sont des représentations dématérialisées, absorbées par leurs
formes et leurs conditions accidentées qui s’affichent telles des présences
évanescentes. Leurs visages effacés expriment leur impossibilité de dire. Les
lignes se plient à l’exigence de l’éclatement et à la dépersonnalisation de
leur individualité. D’autres traits s’entremêlent et apportent une
physicalité qui pourrait s’apparenter à des fêlures, des cicatrices qui
scandent leur chair. La volonté esthétique semble être de ne pas arrêter les
formes pour les garder au plus près de leur surgissement en multipliant ainsi
leur pouvoir suggestif.
Entre
l’opaque et la lumière, ces apparitions presque géométrisées ébranlent leurs
représentations anatomiques, laissant les repères se troubler vers une perte
progressive et chronologique du réel. Sous une certaine force libératrice, les
dernières créations datées de 2017 s’étalent en prenant largement possession de
l’espace, dépassant les frontières visibles de leurs silhouettes et ne laissant
distinguer que quelques indices de leur faciès et leur corps dans une
abstraction dominante. Elles figent un état transitoire. Le moment où le corps
pourrait s’évaporer et pourrait exister dans une sorte d’effacement, une
fragilité précieuse de demi-éveil. Petite mort, songe éphémère ou disparition
inéluctable… La dissolution de la figure humaine est en ce sens le fil rouge de
l’exposition.
Les droits civiques - Digital+Diasec plexi_plexi - 2017 |
Evelyne
Huet prend désormais le soin d’évacuer ce qui pourrait alimenter toute
dimension narrative. Elle nous entraîne dans un processus de libre
interprétation qui fabrique le trouble. Seuls les titres guident vers une forme
de compréhension avec une dualité qui engage les corps dans un jeu de vie et de
disparition, de souffrance et d’affectif, d’enfer et de paradis. La
traîtrise, Persécutions millénaires, L’anxiété sociale, Les fantômes ne meurent
jamais sont autant d’œuvres qui participent au macabre de la
description. D’autres telles que : Résister, Love et Caetera, Is this
love ou encore Le bonheur apportent une lecture plus optimiste.
L’artiste
incarne des figures humaines et en particulier des effigies féminines qui ont
marqué les mythes et les religions : Les trois Grâces,
Marie de Nazareth, Abla Pokou reine des Baoulé au 18e siècle, Kimpa
Vita-Nsimba « la Jeanne D’arc du Congo ». Les références à
l’Afrique, à l’art primitif et sa passion pour l’anthropologie ne sont pas
anecdotiques. La recherche de la représentation du masque, de l’œil béant sont
des éléments totémiques récurrents. Ces empreintes du passé sont transposées et
transformées sous une vision actuelle aux couleurs vives, éclatantes, parfois fluorescentes.
L’énergie
primale surgit sous la puissance poétique de son doigt pour donner naissance à
des œuvres dotées d’une force expressive où l’envoûtement devient le plus
contemplatif des rituels. Avec un humanisme aussi noir que lumineux, Evelyne
questionne ici la condition de nos corps et nos âmes, comme un symptôme de
résistance.
*Exposition
présentée à la Mairie du 13e arrondissement à Paris du 6 au 16
février 2018.