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Jean-Marc Pouletaut, de la surface à la profondeur


Sous la densité des pigments et des contrastes, guidé par des principes de cadrages et de superpositions, il joue des codes pour mieux en montrer l’arbitraire. En 1988 à la Villa Arson à Nice, où il a été initié à la recherche en art contemporain, il créé la Toile Hypertrophiée.

Jean-Marc Pouletaut utilise le rouleau mousse pour avoir une couleur dégradée et travaille à l'envers de la toile de moustiquaire.
« La toile de moustiquaire permet de répandre la peinture de manière aléatoire sous la forme de traces dans les infinis petits carrés du support (…) Chaque couleur correspond à une couche monochrome de peinture. »
Dans ce jeu de grilles il ordonne, hiérarchise et laisse s’accumuler les preuves ; une multitude de points comme autant de traces d’une enquête en cours dont les pistes restent en suspens. Ces petits indices colorés constituent un conglomérat enchevêtré d’une étonnante expansivité. La manière très délicate et fluide de procéder créée une masse vibrante constituée d’interstices et d’intervalles ; de fins liens qui dressent la poésie du réel en permanence sous une certaine déflagration des contrastes. Des effets à l’aspect plus ou moins ondé procurent des perturbations optiques altérant la vision, avec des écrasements de plans, des inversions d’espaces où ce qui est devant passe derrière et vice-versa. Il est question de densité, de masse, d’opacité et de transparence.

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Palette et spectre lumineux se superposent. L’artiste révèle la disparition du visible sous ce jeu perpétuel d’ombres et d’éclats. Son travail enjoint à chercher les travers, à réétudier les certitudes de la lumière. Les couleurs de base se mêlent aux complémentaires et achèvent de bouleverser l’ensemble pour tendre vers des effets mouvants. Cette captation lumineuse, son imprévisibilité, comme la répartition des couleurs, génèrent un équilibre toujours vivant. L’effet de perspective et de relief instaure une sensation de spatialisation, de profondeur, de mouvement et de discontinuité qui laisse espérer mentalement que l’espace donné peut se déployer encore.

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La toile Hypertrophiée demeure abstraite par le jeu formel qu’elle propose. Si l’artiste refuse le sens et l’esthétique de sa toile, il s’autorise la manipulation de la surface comme du support. Sa recherche évoque la réflexion de la question de l’œuvre, de son processus de création et de l'affirmation de sa réalité physique. Ses techniques et inventions formelles  palpent les limites de la plasticité et sont autant d’invitations critiques à réévaluer la lecture du devenir des œuvres du passé.
« J'ai été privilégié par l'analyse critique de l’œuvre d'art en général chère au groupe Supports Surfaces parce qu'il y avait une totale liberté d'expression par rapport à la surface et son support. Cela obéit à la définition du conceptuel Ad Reinhardt, de son Carré Noir d'où l'absence du haut, bas, gauche, droite qu'on retrouve par exemple chez Supports Surfaces. »
 
Ce n’est pas seulement l’objet-peinture qui est repensé mais toute son activité. Devenu malvoyant en octobre 1998, Jean-Marc Pouletaut fait désormais appel à sa mémoire visuelle et se fait aider par une tierce personne pour obtenir les lignes et les angles. Il préserve son expérience de l’espace, sa traversée des volumes, une logique intérieure et harmonieuse entre intention et intuition, une authentique mécanique avec affect qui impose l’émotion du regard.

Toile hypertrophiée, diptyque, acrylique rouge,vert,bleu ,orange, 60/60cm.