Qui va à la chasse... Encre, Posca sur calque, 110 x 330 cm |
Par sa
pratique du dessin, elle trace des correspondances narratives entre les réalités
sociales de son quotidien et les fictions de la tradition du conte.
« Le dessin est relié au papier, c’est un
lien avec le tracé, l’écriture. »
Ses œuvres sont
des représentations narratives réalisées avec humour et subtilité en équilibre
constant entre la maîtrise du geste et l’improvisation.
« Au
départ, je travaille à vide en laissant glisser mes plumes à réservoir qui me
permettent de dérouler le trait comme une écriture automatique. »
Ce langage spontané au tracé systématique, probablement influencé
par son parcours aux Arts Appliqués, se construit selon une multitude de
juxtapositions de scènes aux détails minutieux.
L’artiste sait indéniablement raconter une histoire. Lorsqu’elle
ne grave pas, elle utilise le Posca, le pinceau mais aussi des outils plus fins
comme la plume qui lui permet avec l’encre de chine de dessiner sur polyester
translucide. Le support est ensuite apposé sur papier blanc. Collages, montages
et assemblages peuvent compléter le procédé qui s’exprimera pour certaines
œuvres sur très grand format.
Dans ce terrain bouillonnant d’expérimentations, nous assistons à
une dualité du rouge et du noir, de l’ombre et de la lumière. Au sein de cette
comédie humaine créée de toutes pièces, homme et animal se disputent depuis la
nuit des temps une histoire chaotique. Pour cette exposition, le loup est le protagoniste
central de l’œuvre de l’artiste. Prédateur, chef de meute, il s’affranchit de tout
autre meneur.
Dans cette narration sensiblement désaxée, on ne sait plus très
bien qui chasse qui, qui fait office de pouvoir et d’autorité, qui veut faire régner
l’ordre et désobéir ou simplement dévorer l’autre. Le conflit d’une complexité
redoutable tient par sa tension picturale qui laisse se battre en duel la
violence et l’humour. Ce déroulement du réel à l’absence de hiérarchie provoque
un sentiment de familiarité aussi amusant qu’inquiétant. L’artiste laisse
chacun recomposer librement et mentalement le récit. Certains arguments nous
laissent tourner autour du sujet et nous permettent parfois d’atteindre un
angle essentiel et surprenant. Celui par exemple d’un personnage portant une
casquette à l’envers, d’une meute de loups semblant danser sous la pleine lune,
de plantes carnivores en pleine conversation…
Caroline Veith joue des conventions d’espace et de temps. Elle relie
ses travaux avec ceux des décennies précédentes, des années 70 à aujourd’hui, en
analysant perpétuellement sa façon de s’exprimer.
« Le
dessin est une manière intermédiaire de parler des vrais sujets. »
Son témoignage artistique se déploie patiemment comme une histoire
sans fin. Il vient défier les formes de partis pris et de récupération de
sujets sensibles qu’elle évoque volontiers en « off » comme celui des
migrants.
L’artiste brouille les pistes. Elle produit des narrations où les
héros semblent être de nouveaux prédateurs qui masquent autant qu’ils
dévoilent. Cette hybridité donne à voir une liberté jouissive qui mène
progressivement vers le déraillement, entre la catastrophe et le carnaval.
Caroline
Veith expose à l’Orangerie de Cachan du 7 juin au 6 juillet 2018.