Elle a choisi la peinture pour dire. Son processus de figuration narrative s'imprègne de
l'intime et du lien avec l’autre où s’extrait
un formalisme amusé qui brise la cohérence première de l’étonnement.
Flo Jaouen fait dialoguer les êtres, tournés vers
leur intériorité ou dirigés vers les autres. Ces identités, ses représentations
de soi, sont des caractères évidents de notre conscient et de notre
inconscient. Personnages réels mais aussi statues, poupées ou figurines, ils
nous interpellent frontalement sur ce que nous renvoyons. Cette complexité de
l’individu se dépeint dans un monde, un huit clos où les repères de lieux et de
temps se brouillent. Extraits de leurs contextes, les personnages
s’affranchissent des décors et de toute narration qui pourraient révéler leur
univers. Leurs situations composent une fiction qui bouscule les codes dont
l’intrigue nous échappe vertigineusement.
L’artiste peint une
réalité qui émeut, fascine, émerveille, divertit,
questionne et préoccupe à la fois. L’innocence de jeunes protagonistes
confrontée au monde adulte aboutit à un humour réjouissant qui renvoie, non
sans malice, à l’ambivalence de l’enfance ; un foyer d’amour et de tension.
Lorsque l’on prend le
temps de regarder les toiles de Flo Jaouen, petit à petit l’atmosphère se
transforme, le regard passe au travers d’un nouveau prisme. Les sentiments
bienveillants s’effacent au profit de sensations hostiles, jaillissantes tels
les effets empiriques de la fatigue, la lassitude, le stress des grandes
personnes face à leurs têtes blondes effrontées. L’artiste joue la naïveté pour
susciter le trouble et révéler un monde de tension entre les êtres. Elle conjure le prévisible et perturbe l’attendu. « J’aime
rendre la scène vivante, mes personnages doivent exprimer une émotion. Je
souhaite transmettre dans mes toiles une force que je ressens au plus profond
de moi, l’énergie de la vie. »
Ses travaux échappent à cette forme de réalisme primaire, purement illustratif. La figuration se construit sur un langage critique, l’interrogation d’une
humanité. « A un certain point de réalisme, de détail,
on ne peut inventer. La réalité est beaucoup plus riche que l’imaginaire.
» La construction
travaille en même temps la figure et l’espace. La structure du fond uni appelle
la position du corps et réciproquement. Les
cadrages originaux donnent l’impression de volume. Cette hiérarchie spatiale inclut dans son espace celui qui la regarde.
L’artiste
prépare son ébauche sur ordinateur d’après des photos de ses proches ou
d’inconnus. La palette réduite et
douce participe à une atmosphère épurée.
« La couleur est pour moi secondaire et moins importante que
l’histoire. »
L’expression de la scène
apparait en se débarrassant de tout esthétisme, de tout ornement inutile. Le
réel concentré, décentre la question du repère dans un décor
minimaliste où l’unité du lieu s’efface.
L’enfant est présenté
dans son environnement intérieur, un salon, une pièce vidée de tout mobilier
excepté un divan. Cet élément récurrent souligne une situation qui se veut
analysante. C’est une invitation à se placer dans la disposition d’écoute et de
regard pour une meilleure compréhension de la narration. Le transfert
s’organise favorisant l’appropriation subjective de pans de vie ; les
illustrations d’une mémoire collective. Chacun a déjà vécu ou a été témoin
d’une telle situation.
Tensions, points de
déséquilibres, détails percutants, grimaces… Les corps, les regards parlent
d’eux-mêmes. En persistant à donner sens à l’image, l’artiste prend le soin de
préciser le plus possible les signes qui pourraient alimenter la dimension
narrative.
« Je
souhaite que le spectateur se pose des questions, décrypte un message. Pendant
mon enfance, je passais mon temps à jouer. Je me souviens de cette jubilation
d’inventer des histoires, de créer des situations. Finalement, je continue à
jouer aujourd’hui autrement sur la toile. » Une fillette chaussant les souliers trop grands de son
père, un jeune garçon apprenant à lasser ses chaussures ou lisant un livre qui ne lui semble
pas destiné... Toutes ces scènes montrent comment l’enfant gagne petit à petit
son indépendance face à la présence désabusée de l’adulte qui dort ou semble
détourner son attention.
Par ses aplats de couleurs et cette peinture qui donne aux individus une réelle profondeur psychologique, ses travaux évoquent ceux d’Edward Hopper.
Comme chez le peintre réaliste américain, la mise en scène des relations avec les autres accentue
progressivement la frontière entre espace intérieur et espace extérieur. Cette
ambiance métaphysique plonge la figure humaine dans une certaine solitude. On
retrouve également cette approche chez Leonardo Cremonini que Flo Jaouen cite volontiers
comme référence pour ses lignes, ses formes géométrisées et ses sujets à la
force expressive et mélancolique.
Elle allègue également
son admiration à Vassily Kandinsky
et sa narration d’éléments volubiles abstraits qui l’ont particulièrement influencée
dans son travail. L’atmosphère troublante
et torturée de Francis Bacon et Gérard Garouste sont d’autres maîtres référents
pour la peintre. Mais avec son style à la fois réaliste et acéré, ses travaux
pourraient s’inscrire dans l’héritage figuratif de Lucian Freud et ses modèles
peints dans ses ateliers vides sur des lits et sofas, dans des poses
inhabituelles, parfois aux attitudes crues.
Séduisante
par sa maîtrise technique, la peinture de Flo Jaouen chahute par sa tonalité
narrative l’ordre visible. Ses figures humaines remplies de significations et
d’attachements constituent une histoire picturale aussi sensible que désaxée
qui permet d’atteindre un angle essentiel et surprenant.