Série Incipit, "positif" de polaroid FP100 réalisé en double exposition au moment de la prise de vue
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Fugitives, oniriques mais extirpées du réel, les photographies de Mélanie Patris génèrent la sensation diffuse de se trouver en présence de l'insaisissable. Sa vision délicate du corps et de la nature relie l'émotion d'un lieu, d'un moment, d'une personne et nous invite à suivre la trace d'un sens caché.
Elle déclenche son appareil photo de manière intuitive avec toujours un même questionnement : "quelle est ma place dans ce monde face à l'autre, à l'environnement qui m'entoure ?"
Certains clichés s'approchent du réel pour capter le fugace. D'autres plus fantasmés nous transportent au-delà de la représentation où la question de la perte des repères est centrale.
Les images reconstruites évoquent le début d'une histoire, d'une anecdote intime passée au filtre de la mémoire. Puis les souvenirs s'échappent et font place aux émotions, un champ subtil directement connecté aux sens. L'artiste appréhende un rapport purement féminin, à la nature, la forêt, l'eau, à l'état sauvage qui relie soi aux autres.
Cette résonance de la nature au corps examine l'impact du dehors vers le dedans, de l'intérieur vers l'extérieur. Le panorama à la fois intimiste et contemplatif porte un soin particulier aux valeurs des couleurs, aux finitions. Il témoigne d'une véritable attention dédiée au sensible qui abolit les frontières picturales. Les univers organiques et environnementaux se fondent, s'intègrent dans un véritable processus de sublimation.
"Ma formation en anthropologie m'a amené à intégrer l'idée que le monde de l'invisible existe bel et bien. L'Homme et la nature appartiennent à deux univers reliés. Pour moi c'est un tout."
Cadrages sophistiqués, éclairages travaillés, délimitations des plans, décollement d'émulsion, feuille d'or, dessins, encres et aquarelles liquides... Les effets utilisés s'associent à des techniques photographiques distinctes.
"Elles apportent dans mon travail un regard personnel sur ce qu'est la vie : une vision multiple et kaléidoscopique. C'est l'aspect "matière" des choses qui m'intéresse."
Mélanie Patris explore l'argentique, le Polaroïd pour lequel elle aime utiliser le film Polaroid original ou le Fujifilm PF100, ce dernier lui permettant d'obtenir plusieurs images avec un seul cliché. La technique du Cynanotype, de ses appareils petits, moyens et grands formats, ou encore du film Super 8 sont d'autres procédés qu'elle exploite également.
" Le film m'aide à porter un regard différent sur mon travail, notamment dans sa structuration et dans le rapport au temps. Le son apporte une texture différente aux images, une autre profondeur."
Les strates se superposent, se combinent, s'entrelacent pour inscrire et reconstruire.
Cette construction narrative fragmente le réel en brouillant les pistes. Chaque photographie est un réceptacle propice à l'apparition comme à la disparition. Le flou et le diffus participent à l'effacement.
"L'exposition multiple, la saturation montrent certains aspects de ma vie, de ma personnalité ; mes doutes, mes creux, mes troubles, mes aspects vides et mes aspects pleins."
Quel que soit le procédé où l'effet il y a une tension dramatique commune qui glisse de la scène vers le détail permettant à l'anecdotique de devenir signifiant. Le regard avance puis recule pour scruter la nature de l'espace visible. Ce va-et-vient permet une distanciation avec le réel, entre les possibilités de reconnaissance et de fiction.
Intuition, contingence, hasard... Quelques références narratives plus explicites percent la surface. On peut les identifier à travers les voyages de l'artiste en Asie, en Inde et en Afrique, comme au Burkina Faso où elle photographie une femme venant d'accoucher dans un centre de santé de brousse ou encore lorsqu'elle réalise des autoportraits nus dans un sanatorium désaffecté.
"Photographier mon corps et celui des autres m'aide à l'accepter dans tous ses aspects, à tenter de comprendre son fonctionnement, à en dégager l'essence."
Aux portes de l'émotion et du rêve, les photographies de Mélanie Patris révèlent l'altération de notre propre perception pour voir autrement au-delà des apparences. Elles s'inscrivent dans une continuité, celle d'un temps d’hier et d’aujourd’hui. Une certaine pérennité picturale émane, c’est un repos, une respiration poétique, un arrêt suspendu. Une dimension onirique et sensuelle qui préserve tout son mystère.