Il sculpte sans modèle. Sa matière, il l’invente. C’est une savante alchimie de papiers, de fil de fer, de résine, de grillage, de chanvre, de bois et de peinture acrylique.
Luc Henri Lefort transforme la matière inerte en sculpture vivante, insufflant à ses compositions une vérité, au-delà du réalisme. Ce sont de nouveaux exemplaires d'humanité, des êtres anonymes, emblématiques et intemporels. Des “hommes imaginaires symbolisant une humanité laissée pour compte.” Ils mesurent entre deux mètres et deux mètres cinquante et sont tous animés d’un mouvement unique, délivrant un message que chacun pourra ressentir comme une vibration, un frisson.
Leur fragmentation laisse témoigner une certaine expression liée au cri, parfois à la douleur. “Je désire susciter l'émotion, la compassion face à des êtres différents physiquement, religieusement, sexuellement. Une minorité silencieuse que toutes les sociétés n'estiment pas et bafouent.”
Avec ses mains, l’artiste cisèle la complexité des êtres, des sentiments. Il sait emprisonner l’émotion pour la libérer, la contraindre et mieux la magnifier. Il saisit les craintes et les larmes, entend les chants et les râles.
Cette expérience dramaturgique témoigne et interroge sur la condition de l’homme. Les traits affirmés, puis effacés captent et restituent la dimension tragique, le grotesque et l’ambiguïté de toute existence qui peut se laisser dévorer par la souffrance. Un jeu quasi diabolique à la vie à la mort faisant écho aux travaux de Francis Bacon et d’Ousmane Sow.
L’artiste accorde une pleine valeur au blanc non sans rappeler l’esthétisme des sculptures grecques.
“Le corps est une allusion à la stature classique dont je chahute l'anatomie (...) Je ne souhaite pas faire de la sculpture spectacle. J'essaye d'aller à l'essentiel. La couleur blanche, renforcée par le chanvre sous le papier permet d'exprimer un certain aspect mortifère.”
Les corps majoritairement dénudés et les sexes sublimés laissent apparaître les aspérités et les débordements. “Le sexe masculin est pour moi vecteur d'optimisme.”
Cet attribut suffit à en souligner la charge symbolique et soutient la persistance d’une aura animée. Celle d’une plongée en enfer avec Eros qui défend une certaine liberté d’offenser. A chacun d’imaginer l’offense car les œuvres gardent l’idée de fiction, même si le réalisme reste conséquent dans la représentation.
Ces hommes debout rappellent à nos mémoires les gestes ancestraux de notre humanité qui pointent les possibilités de malaise. Ils donnent vie et liberté à une œuvre authentique. On mesure l’enjeu du travail de Luc Henri Lefort dans l’écart entre ce sentiment de faiblesse et la puissance obtenue.