Avec
Gabrielle Hollensett, nous sommes les passagers clandestins, spectateurs d’un
transit. Au bord de l’eau, sous des latitudes flottantes,
prêts à lâcher prise pour élargir nos possibilités de perception.
L’artiste
fait appel à sa mémoire pour revivre des atmosphères visuelles et olfactives de
sa région natale du Nord de la France.
« Les rives de l'Escaut, les hauts
fourneaux, l'ambiance industrielle, la dureté de la vie ouvrière, la
tristesse… » Autant de territoires authentiques et de
sensations marquées où réside un imaginaire nourri. Là-même où s’entrelacent le
marin et l’urbain, le naturel et le bitume, entre solidité et fragilité, entre
forme fixe et instabilité.
Cette déflagration des contrastes est soutenue par le regard
sensible de Gabrielle. Elle revendique son attraction pour la ville, les ports, la mer qui selon elle
sont des éléments foisonnants et éblouissants de « lumière, de perspective, de reflet, de rythme. » Ils sont d'autre
part, une source de crainte voire d'angoisse proche de la phobie.
Elle avoue être aquaphobe, agoraphobe,
claustrophobe et pourtant un cargo est
pour elle chargé de mystère tout comme les immeubles des grandes métropoles,
dont les petites fenêtres éclairées témoignent d'une multitude de destins que
l'on ne peut que s'imaginer. Toute la vie s'y trouve avec son cortège
d'émotions provoquées par les rencontres, les séparations, les départs, les
retrouvailles, tout ce qui rassemble les gens et les emporte vers un ailleurs.
Du figuratif au plus abstrait,
elle laisse voguer l’évidence au mirage, son geste libère, dissout la composition et la berce dans un lent
naufrage. Le degré d'abstraction garde le cap vers des lignes de fuites qui
structurent le regard jusqu’aux marges de la surface de la toile.
Dans ce diffus où la perte des repères domine, la
peintre cherche toujours à faire émerger quelque chose de reconnaissable. Et
pour ce faire, tout
est question d’agencement ; au préalable celui de la couleur. Du bleu pour « le rêve, la liberté, l'irréel » et le rouge pour « la passion, la
violence, la souffrance. »
Les
tons par procédé quadrillé permettent de donner au motif une impression de
volume en utilisant les valeurs en dégradé.
L’agencement des formes ; des voiles, des bateaux fantômes, des buildings
baignent entre le lisible et le visible, au carrefour du réel et de
l’imaginaire, au-delà du
temps, dans un brouillage nuancé entre statisme et disparition.
Cet
expressionnisme gestuel revendique la force imageante et rend inexpliqué
l’évidence de la représentation. Les lignes sont délicates sans être
systématiquement déterminées ou achevées. Elles s’évanouissent dans une
recherche permanente.
« J'aime me rapprocher le plus possible de l'abstraction pour
dissimuler au maximum la mélancolie, la révolte, la sensibilité latentes en moi. Le non figuratif laisse la liberté au
spectateur de faire parler son imagination, ses émotions et souvenirs et
d'en enrichir mon travail. »
La
logique narrative reste en suspend comme une traversée énigmatique. Elle
apporte des indices de compréhension mais laisse le spectateur naviguer seul
pour explorer lui-même l’œuvre.
Le
mystère se construit selon un procédé progressif. D’abord un fond uni constitué
de plusieurs couleurs à l’acrylique puis de grands aplats à l’huile réalisés à
l’aide de pigments qui permettent à l’artiste de dompter la lumière et la
fluidité.
Des couteaux larges, des spatules, des raclettes
sont utilisés pour créer des fondus et des arêtes structurantes. Les formes naissent puis s’harmonisent. Le
temps est laissé au séchage pour affiner ensuite la profondeur et la mise en
valeur du sujet.
Les toiles de Gabrielle Hollensett sont des espaces de liberté où les fragments
et les mouvements s’agencent entre illusion et conviction. Son œuvre mouvante,
voyageuse, vivante, fabrique une dimension atmosphérique incarnée qui nous
transporte vers des territoires inexplorés.