Edward Hopper lui a donné envie de peindre. La peinture
de Claude Gazier évoque, comme celle du maître américain, le pouvoir fictionnel
d’une certaine nostalgie d’un temps rêvé.
Son travail nous place dans un sentiment
anachronique de romantisme qui tient d’un état de mouvement. Les sujets
apparaissent, semblent flotter, dans un fluide, comme arrêtés dans des poses
cinématographiques. C’est un songe d’évidence sentimental, de souvenirs que l’on
oublie et qui resurgissent.
Sa contemporanéité se situe dans
une virtuosité alchimique de dosage des pigments, de caséine sur silice sur
panneau.
« J’ai cherché une matière qui puisse
traduire plastiquement le « grain » et la mobilité d’une image de film. L’usage
de matériaux de maçonnerie utilisés pour les fresques murales s’est imposé par
leur présence physique, comme la matérialité rugueuse des peintures de Balthus. »
La juxtaposition de points de couleurs révèle
le grain et diffuse la lumière en estompant les contours visibles et en
participant à la suggestion du mouvement.
Les effets de relief et de profondeur sont
renforcés par le soin harmonieux porté aux tonalités. Ce procédé chromatique
interagit pour forger l’élan narratif, lui conférant une profondeur
atmosphérique appuyée par la transparence et la vibration de la couleur.
Les valeurs dégradées soutiennent
le trouble des atmosphères, des paysages, et des faciès.
« Le flou est clairement recherché pour ne pas figer
l’évocation du passé. »
Les identités des
personnages s'affichent comme absorbées, spectrales. Ce diffus est
exécuté entre douceur et apaisement et cohabite subtilement avec le précis. Il
laisse bercer une recherche fluide entre abstraction et figuration, entre
irréel et réel.
Pour le peintre, il s’agit d’exprimer
une : « transfiguration
existentielle (…) Je me suis
naturellement plongé dans ces ambiances imaginées du passé, ces mythologies du début
du 20e siècle, pour fixer des émotions de cinéma qui restent gravées
dans les mémoires. »
Claude est particulièrement inspiré par La
Belle Époque où la prospérité, l’insouciance, la gaieté, l’aspiration à mener
une vie bourgeoise et paisible, entre le luxe abondant et le désir de
légèreté dominent. C’est ce temps de l'avènement de l'idéal et celui du
foisonnement d’inventions et de réalisations artistiques. Cette période où la
culture française, le prestige du monde intellectuel se distingue par son
caractère novateur et son rayonnement singulier. Seurat, Monet, Renoir, Cézanne
ne sont pas loin…
L’artiste peint des scènes de bal
populaire, de promenades en bords de mer, le long d’un canal, des déjeuners
champêtres où l’on prépare des parties de Badminton… Les personnages dépeints révèlent un goût
pour les lignes souples, les vêtements blancs, les voiles, dentelles, ombrelles
et autres coiffes singulières. Les références au cinéma du début du 20e
siècles sont récurrentes comme celles de « La Roue » d’Abel Gance, film muet de
1923.
Dans une rêverie
ouatée, la restitution du réel se laisse délicatement percevoir. Elle se lie à la
curiosité d’un ailleurs qui s’exprime par une certaine tension picturale ;
la suspension d’un moment pouvant suggérer le drame à venir. La scène capturée est envisagée comme un plan séquence. Elle n’est ainsi pas appréhendée dans son
entièreté mais présentée comme un fragment, une pièce isolée d'un ensemble plus
vaste. Comme celle évoquée par un effet de travelling arrière où des
personnages attablés en terrasse à Chamonix scrutent l’inquiétant glacier
suspendu, flottant sur les flancs de la montagne en second plan. Cette
narration brouille les pistes et propose une double lecture, plus subversive.
Cette pudeur picturale préserve
toute l'intrigue, entre apparition et disparition. Ici, le climat se fige
dans un état fugitif. Et c'est là tout l'art de Claude Gazier ; capturer
l'éphémère qui se dérobe, disparaît. Une partie de l’énigme picturale se
dévoile sous nos yeux en remontant le fils de nos pensées, de notre mémoire
effacée. Le plus remarquable est que ces moments de vie nous apparaissent
familiers, comme associés à nos propres réminiscences émotionnelles.