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Laurence Buaillon, peindre la composante existentielle

 

L'œuvre littéraire de Virginia Woolf est une source d’inspiration pour sa peinture depuis sa jeunesse. Cette série présentée lors de l’exposition « Autour de Virginia Woolf » au Château Lachieze à Saint-Sozy (46) les 29 et 30 août 2020 témoigne d’une fascination foisonnante pour l’auteure britannique.

Cette série qu’elle souhaite aussi sensible qu’émotive, à l’image de l’œuvre de la célèbre romancière, questionne l’identité féminine à travers des portraits singuliers.
Les personnages sont adoptés sous une dimension physique et psychologique. Chacun endosse une posture qui lui est propre, un caractère inédit, aux confins de l'intime, là-même où il est question d’intériorité, de secret, de séduction, de doute.
« L'image féminine constitue toujours une énigme (…) Je guette l'instant où la matière de ma peinture évoquera le trouble de l'émotion. »

Les figures bavardes d’élégance sont soutenues par une touche réaliste. Les effets de cadrage les dramatisent et captent notre attention vers la charge émotionnelle de leur regard.
« Le visage me fascine dans ce qu'il a d'insaisissable.  J'aime l'idée de susciter une rencontre par le regard. »

L’apparente tranquillité des sujets cache une discrète tension dramatique où percent les signes d’un moment d’anxiété, de solitude.
« Mes portraits souvent immobiles, témoignent d'une quête de l'inaccompli de l'existence. »
Cette impression troublante génère la sensation diffuse de se trouver face à la réalité d’une présence-absence ; une double représentation caractéristique des traits psychologiques des personnages des romans de Virginia Woolf.

La romancière expérimente les motifs émotionnels sous-jacents de ses personnages ; les rêveries, les états d'âme, les pensées contradictoires…
La peintre fait revivre ces personnages comme une réactivation sous effet de spleen. Son travail pictural a quelque chose de photographique, quelque chose du « ça a été » comme une attestation physique et mélancolique du temps passé et à jamais disparu.

« Le langage de Virginia Woolf est traversé d'images. Elle vivait entourée des tableaux de sa soeur Vanessa Bell, de ses amis peintres de Bloomsbury et des photographies de sa tante. Ces images constituaient ses souvenirs jusqu'à pénétrer la trame de ses textes, influençant son imaginaire. La photographie l'intéressait par son aspect mémoriel, elle disait elle-même chercher à faire surgir la force des images par l'écrit. »

Pour illustrer "La mort de la Phallène", Laurence peint le portrait d'une jeune fille sortant d'une chrysalide, cherchant à exprimer une forme de porosité, celle d’une « inquiétante étrangeté. » Dans cet antre, l’ombre et la lumière, la mort et la vie sont à la lisière du domestique et de l’inconnu. Sa peinture est une peinture onirique où le sens caché se révèle. Elle nous invite, avec une certaine virtuosité, à imaginer en abîme le monde dissimulé et inconscient de ses figures.

Virginia Woolf est réputée pour ses multiples possibilités de narration dans une chronologie morcelée où les identifications de temps se juxtaposent. La peintre intègre ses modèles dans un univers affranchi des repères de lieux et de temps. L’intemporalité délibérée se traduit par un fond brumeux, atmosphérique, sans détail apparent, qui évoque le tourment de l’âme.

Cette exploration esthétique s’appuie aussi par la couleur flamboyante des étoffes des personnages. Celle-ci joue des contrastes et des ornements de formes organiques, de compositions florales et d’autres papillons où le bleu et l’or font face au rouge passion récursif.
 « J'ai cherché une palette plus lumineuse, incandescente. Sur le rouge...V.W. écrivait "Respirer, ne pas figer le monde des vivants. Il y a du rouge-doré sur le tronc des pins... »
L’artiste peint ses œuvres à l'huile sur bois qu’elle enduit à la colle de peau comme le faisaient les anciens.

Les détails, l’ambiguïté et la volupté de la composition des œuvres de Laurence Buaillon ont des choses fascinantes à révéler sous une composante existentielle. Ces correspondances sont tracées avec style et poésie pour rendre un magnifique hommage à l’une des plus grandes romancières romantiques de tous les temps.