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Anne Procoudine-Gorsky, la chute

 

Chute 03

“L’année 2020 fût une année extrêmement déstructurante pour moi. Parallèlement, un certain virus nous a fait prendre conscience de la chute de notre monde.”

 

Son expérience de création témoigne de sa vie personnelle, de la condition humaine, restituant les émotions, les traumatismes, l’ambiguïté et l’absurde de l’existence lorsqu’elle s’abstrait de ses libertés.

“Le moment le plus productif sur cette série intitulée La chute fût la période du premier confinement, où j’ai pu, dans un travail journalier, produire et exprimer cette sensation de chute intérieure, que les évènements de la vie ont provoqué chez moi.”

Ce témoignage du sens tragique d’une destinée intime, se révèle dans un mouvement descendant où le corps projeté se métamorphose.

 

Anne Procoudine-Gorsky travaille habituellement sur grand format. Les travaux de cette série la conduisent à explorer des dimensions plus réduites. Sur papier de 160 à 200 g format raisin, elle réalise au préalable le fond, à la recherche de textures, permettant au réel de s’enfuir vers des fragments plus abstraits. Ce sont des traces sous forme de tâches, émergeant de la peinture acrylique, de l’aquarelle et de l’encre de typographie. Une fois sec, le fond est ensuite scindé en quatre parties. Le format 24 x 32 obtenu se présente en portrait afin de travailler la partie la plus figurative de la composition ; le corps en chute libre.

 

Débute dès lors la représentation d’une figure avec pour intention de la montrer : “ en suspension ou tombée avec la violence de l’impact, la violence ressentie, le chaos intérieur.”

 Le corps prend forme à l’encre de chine, la mine de plomb, la pierre noire ou le fusain.

“Le gribouillage est riche d’expériences et source de surprises.”

L’instant figé s’étire et se condense. Les repères se troublent et se confondent hors du temps, refusant la maîtrise de toute direction finie. L’artiste cherche à préserver l’inattendu tout en le conduisant, saisissant la présence qui sans cesse semble lui échapper.

 

Peu contenue, débordante et déstructurée, la chute est travaillée telle une fuite, une possibilité d’échappatoire, vers la perspective d’un instant décisif. L’indice d’intériorité de la figure outrepasse pour devenir autonome et libre. Anne a suivi une formation d’art thérapeute qui la pousse à se questionner sans cesse sur l’introspection qu’elle exprime ici avec la gravure.

 

“J’aime le corps à corps avec la matière. La gravure me permet d’aller plus loin dans ces sensations corporelles (…) Elle offre une grande liberté dans processus créatif. Elle est presque sans limites. On peut y revenir, par-dessus, retremper dans l’acide, graver à nouveau, multiplier les différents encrages, travailler les couleurs, oser des combinaisons, des surimpressions…”

 

Le noir du dessin contraste avec le fond plus neutre du papier, parfois légèrement travaillé entre l’obscur et le clair, entre la présence et l’absence. Il est balayé par un rouge sang récurrent qui participe autant à la charge narrative que la somme d’empreintes meurtries.

 

Les tâches, les traits, les couleurs révèlent la signification visuelle comme l’indicible.

“J’aime flirter avec le non figuratif” conclue l’artiste qui témoigne que l’expérience ne sera pour elle jamais abstraite. Elle préfèrera nous laisser les indices palpables de l’accident et de l’imprévu, les fragments d’une dégringolade inattendue qui nous en dit plus sur un état de désordre et d’incertitude que nous avons, quelque part, tous partagé en 2020.