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Marion Ancelme, Là-bas une traversée humaine.

Là-bas est une installation globale réunissant cinq modules qui évoquent l’exil d’individus.

« Il ne s’agit pas d’un voyage pour le plaisir mais d’un voyage contraint, subi et forcé pour pouvoir continuer à exister. » 

 

Plus encore que le voyage, ce travail traite du déplacement, de territoire en territoire, de la perte d’identité, des privations de liberté mais aussi de l’élévation des valeurs humaines qui rythment le devenir et l’espoir.

« Il a débuté dès 2014, année où nous avons été confrontés de façon massive et récurrente à tous les drames qui se déroulaient dans la mer Méditerranée, avec le passage des migrants et le nombre stupéfiant de morts suite aux naufrages de ces petites embarcations de fortune. »

 

En 2015, lors d’une résidence d’artiste en République tchèque, Marion Ancelme saisit des atmosphères, des détails intimes singuliers et se nourrit de la perte des repères que la vie peut lui procurer ailleurs. Elle créée alors le premier être hybride en argile puis en porcelaine, le prototype qui annoncera le projet Là-bas.

 

L’installation met en scène des êtres hybrides réalisés en plâtre et en porcelaine, matière de prédilection de l’artiste.

« Dans la porcelaine j’y vois résistance et fragilité tout comme dans l’être humain. »

Elle met en scène des têtes d’humains ailés suspendues dans les airs qui répondent à d’autres abîmés au sol, certains sont épinglés sous forme de trophées bâillonnés au mur. Le moteur de ces déformations et de ces accrochages n’est autre que l’exil. Il fait prendre à l’individu une autre forme, pas tout à fait la même et le rend étranger dans son nouvel état. Pourtant, ces êtres forment une foule dans laquelle rien ne laisse présager qu’ils sont condamnés, au contraire, ils semblent détenir une puissance de vie quasi palpable.

 

L'envol
 

L’écho habité des entités chimériques se répète et évolue selon les modules. On découvre ainsi des pieds suspendus qui laissent glisser leurs chaussures dans une barque, et d’autres enfermés dans des cages de grillage. Enfin, des portants métalliques encadrent des paysages-tunnels reproduis par des photographies en noir et blanc sur toile de nylon, matérialisant l’effort pour surmonter l’épreuve et le passage.

 

L’artiste additionne les zones célestes et terrestres pour constituer une mer de naufrages. Elle compose dans une légèreté tragique, pointe autant les possibilités de malaise que de celles de vie et de liberté. Le chaos côtoie l’espoir. Douceur ou stupeur, les yeux s’écarquillent vers un hors-champ qui constamment nous échappe, et qui jamais n’est livré.


Marion convoque le vertige du déracinement et de l’enracinement. Au fil du parcours, il y a cette volonté de créer des non-lieux. La hiérarchisation de la perception se trouble. Le fond et la forme. L’illusion aborde l'utopie où coexistent l'anxiété et l'optimisme, l’enfermement comme l’ouverture de perspectives. La fuite des corps, les possibilités d’échappatoire et les résidus d’un instant décisif sont agencés comme une somme d’empreintes qui résonnent entre elles.

 

 

L’installation investit la surface sans interruption, invitant le spectateur à circuler entre le détail et le tout. L’artiste isole les créatures et leurs fragments mais ne les décontextualisent pas. L’arrangement spatial occupe la surface et contribue à une sensation de dépassement, au-delà de la limite, comme l’évoque le vol de ces êtres hybrides en capacité de franchir les frontières créées par l’homme.

 


 

Des itinéraires, des trajectoires se dessinent et se relient pour mieux souligner les correspondances visibles. Quelque chose se forme, les contours d’une histoire, l’intuition d’un récit.

« Au moment où j’ai créé ces différentes pièces je n’ai pas pensé à une installation globale (…) mais je peux y voir effectivement toute une narration, celle d’un voyage avec un début, un milieu et une fin, le début serait l’envol et la fin cette impossibilité à s’enraciner de nouveau. »

 

Dans ce périple continu de successions de points de vue, la couleur joue un rôle essentiel. Le blanc récurrent du plâtre et de la porcelaine défend la valeur de neutralité et d’anonymat que l’on associe à ces populations dont les tentatives d’évasion aboutissent souvent vers une triste fortune. Mais pour l’artiste : « la couleur blanche symbolise aussi un moment charnière. C’est la couleur des possibles, la page blanche sur laquelle tout peut s’écrire, se créer, advenir. C’est la couleur des candidats de ceux qui vont changer de condition. C’est également la couleur de celui qui renaît après la mort initiatique. » 

 

Là-bas est un exemplaire d'humanité révélé par des fragments d’êtres revisités, anonymes, emblématiques et intemporels. L’installation informe sur les traces de corps et d’esprits en survie. Elle laisse une porte d’accès, une impression de trajectoire ouverte dont certains êtres messagers se déploient en leaders de liberté.