Avec cette nouvelle série intitulée Charbon ardent, l’artiste poursuit son exploration du corps en mouvement qu’il dépouille en toute liberté vers une sublime économie de l’essentiel.
« Cette série exprime ma passion incandescente pour la technique du charbon de bois, cet outil obtenu par carbonisation d’une branche en vase clos. »
Sans esquisses préparatoires, l’artiste travaille essentiellement d’après modèles vivants. Seulement certaines séries de visages sont issues de son imaginaire. Sa pratique intervient sans repentir, ni estompage.
Il extrait le caractère, la tension du corps. Attentif au moment, à l’affût de l’instant où le corps apparaît sous une certaine contorsion. L’épine dorsale des figures s’inscrit dans la poursuite d’une trajectoire puissamment structurée où les angles sont parfois obtus, montrant la spatialité des formes. Yves Grandjean est également sculpteur.
Sur le papier, sa passion pour le trait s’exprime par une simplicité de moyens, une rapidité d’exécution. L’immédiateté de son tracé contribue à une gestuelle atypique qui fige les attitudes sans que l’œil ne se fixe. En mouvement, mesurant l’espace, son tracé au fusain -compressé et peu friable - apporte une physicalité picturale à ces personnages. Les lignes s’entremêlent et créent de multiples strates en profondeur. Elles se superposent sous l’illusion d’une surimpression en flottement ; un parfait équilibre entre le surgissement et l’effacement du personnage.
Dans cette zone d’ombre où se niche le mystère, la palette nous précipite en douceur dans une immersion enveloppante et sensuelle, du noir profond au blanc lumineux. Les nuances sont travaillées entre la lumière, la vérité, la beauté, le rêve, l’amour, le plein et le vide, l’ombre, l’invisible, le caché, l’insaisissable, l’inconnu. Cette dualité de contrastes marque un espace, un silence, un antre magique où tout peut arriver. Là-même où chacun peut pénétrer pour traduire sa propre vibration visuelle, au-delà de la représentation. La question de la perte des repères est d’ailleurs centrale. Cette construction narrative fragmente le réel en brouillant les pistes. Chaque dessin est un réceptacle propice à l'apparition comme à la disparition.
« Le
choix des supports est déterminant : papiers à grains pour des gris tendres
jusqu’aux noirs profonds. Papiers Kraft froissés pour la rusticité et les
accidents. »
Sur la surface plane, les figures sculpturales et
anatomiques révèlent une puissance à la fois organique et funèbre. Leur
présence s’offre à ce jeu de vie et de mort où Éros et Thanatos s’affrontent. De
l’espace ténébreux à la vie, ce duel se transforme en une attraction vertueuse
et sensible. Une vision très personnelle qui reconsidère la présence et
l’absence, l’éphémère et la fragilité de l’existence humaine où l’obscur
devient clair.