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Ene Jakobi, A fleur de peau… Et de peines

 

Aquarelle sur papier, 50x65 cm, dessin réalisé pendant le confinement 2020 à Paris (photo Flavia Raddavero)

 

Cette série est une recherche sur la vie d’artiste et ses tourments. Une réflexion sur le harcèlement dans le cadre de son travail, sous les sphères du sensible.

 

Lys, marguerites, violettes et autres muguets sont peints à l’aquarelle et dessinés au crayon sur papier selon la plus grande rigueur académique. Originaire de Tallinn en Estonie, Ene Jakobi a étudié aux Beaux-Arts. Elle témoigne ici de sa parfaite maîtrise du geste qu’elle utilise dans une intention contemporaine. Avec un certain sarcasme, elle vient chahuter la douce harmonie apparente de ses dessins botaniques.

 

A la recherche d’une perception spontanée, d’une émotion brute, l’artiste fait basculer le réel avec une double lecture en proposant des commentaires à contre-courant pour illustrer ses œuvres. Pour ce faire, quelques artistes de son entourage ont été sollicités pour rédiger un ressenti, une phrase des plus injustes face à son travail. Sincères, parfois violents, ces ricochets verbaux restent secrets, apposés derrière le dessin.

« Ils deviennent drôles, presque thérapeutiques lorsqu’on les découvre » affirme la plasticienne.  

 

" Et tu veux du fric pour ça ? ", " Est-ce que tu peins quand tu es bourrée ? ", "A quoi sert ce que vous faites ? ", " Tu as dû probablement rencontrer beaucoup d'hommes pas bien dans ta vie ", " Tu n'es pas assez connue pour être payée autant… " Toutes ces réactions à brûle-pourpoint que l’on découvre en contraste, s’inscrivent vacillantes et mouvantes dans l’espace mental de notre lecture. Ce décalage narratif brutal s’illustre comme une vue de l’esprit qui déconstruit et remet en cause le cheminement personnel de l’artiste. 

 

« La personne qui possèdera une œuvre de cette série ne possèdera pas simplement un joli dessin botanique mais le chagrin d'un artiste » explique Ene Jakobi.

Cette cruauté amusée que s’inflige l’artiste montre également une tentative d’évasion, une fuite, une élévation individuelle ; une ouverture de perspectives en retrait sur son travail.

 

D’autre part, Ene témoigne d’une passion pour le Moyen Age qu’elle transmet aux plus jeunes. Sous forme de médiation culturelle, elle a récemment dessiné dix planches à colorier d'après une tapisserie médiévale tissée à Enghien.

« Ces plantes sont mortes depuis plus de 500 ans, mais elles continuent à vivre sur le papier. C'est une façon simple et directe de montrer comment l'art peut rendre une plante immortelle » poursuit-elle.

 

L’artiste fait revivre à sa manière une forme vivante du merveilleux qui n’est plus. À la lisière du domestique et de l’inconnu, cette nature originelle à la perfection formelle, se détourne du figuratif académique pour une nouvelle dimension à la fois conceptuelle et poétique.

 

Le naturalisme revisité d’Ene Jakobi nous invite à franchir un seuil où les potentialités de questionnement et de convictions se confrontent sous un audacieux vertige, très actuel.

 

 

Les illustrations botaniques d’Ene Jakobi ont été réalisées pendant les confinements à Paris en 2020 et 2021 et ont été présentées lors de l’exposition « Être une fleur » où la chorégraphe Odile Gheysens, la compositrice Elo Masing, les plasticiennes Dagmar Kase et Kaie Kal se sont, entre autres, liées à l’événement.