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Jean-Marc Pouletaut, l’art peut-il conjurer l’altération de la vision ?


« Je suis atteint d'une rétinite pigmentaire. Il y a cinq couches à l'intérieur de la rétine les
pigments se trouvent sur la dernière couche du fond de l'œil. Ces mêmes
pigments disparaissent tour à tour du fait de la fabrication d'une mauvaise
protéine par l'ADN. Cela provoque un rétrécissement graduel du champ visuel. Je ne vois ainsi qu'une partie de la réalité. »

 

Tout se passe comme si la toile hypertrophiée était une correspondance plastique de la rétinite pigmentaire de l’artiste. La toile se décrypte comme un agrandissement de la vision. Tel un effet de zoom laissant apparaître la trame de la toile. Le processus de création de l’œuvre débute en 1988 à la Villa Arson à Nice où Jean-Marc Pouletaut est initié à la recherche en art contemporain, avant qu’il n’apprenne, en 1993, qu’il était atteint d’une rétinite pigmentaire. Par conséquent, dans ce cas présent, la correspondance plastique est un rapport inconscient entre la création artistique et la maladie. Autrement dit, ce n’est pas parce que Jean-Marc Pouletaut était atteint de la maladie de la rétine qu’il a créé la Toile Hypertrophiée  Il fait depuis l’objet d’une démarche sérielle, une signature esthétique propre à l’artiste.

 

La toile hypertrophiée génère la sensation diffuse de se trouver en présence de l'insaisissable. Elle nous invite à suivre la trace d'un sens caché comme une anecdote intime passée au filtre de la vision. Elle transporte au-delà de la représentation où la question de la perte des repères est centrale, faisant place aux émotions par un champ subtil directement connecté aux sens.

 

Cette résonance de la vision examine l'impact du dehors vers le dedans, de l'extérieur vers l'intérieur. Le regard avance puis recule pour scruter la nature de l'espace visible. Chaque tableau se transforme ainsi au fur et à mesure qu’on le regarde. Le regardeur devient l’acteur d’un travelling avant-arrière à la fois intimiste et contemplatif qui porte un soin particulier aux valeurs des formes et des couleurs. Ces dernières abolissent les frontières picturales en s'intégrant dans un véritable processus de sublimation.

 

Le rapport du transparent à l’opaque est une autre correspondance.

« La partie transparente de la toile évoque la disparition du pigment de la rétine, et la partie opaque, la présence opaque du pigment de la rétine. »

Les strates se superposent, se combinent, s'entrelacent pour inscrire et reconstruire dans une nouvelle profondeur. Cette construction narrative fragmente le réel tel un réceptacle propice à la disparition, à l'effacement.

 

De l’exploration à l’abstraction pure, entre matérialité et immatérialité, Jean-Marc Pouletaut nous révèle l'altération de sa propre perception. C’est dans cet espace insolite, aux confins de l’imaginaire, que sa peinture créée son propre langage fictionnel et poétique. La toile hypertrophiée confère une atmosphère tout à fait particulière et profondément originale, d’une délicieuse et hypnotique confusion pour conjurer le sort de la dégénérescence visuelle progressive dont son créateur est atteint.