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| Copyrights : Philippe Gillotte |
Chez Philippe Gillotte, la photographie se vit comme une traversée : celle d’un homme dont le regard s’est formé à la croisée des Beaux-Arts, de la technique et de l’instinct.
Son œuvre, à la fois multiple et cohérente, témoigne d’un engagement profond envers la lumière – non pas comme simple condition visuelle, mais comme matière vivante, vecteur d’émotion et révélateur d’humanité.
La lumière sculptée
Chaque image de Philippe Gillotte semble respirer. Il y a, dans sa manière d’apprivoiser la lumière, quelque chose de presque pictural, héritée des maîtres qu’il admire — de Johannes Vermeer, pour la précision et la douceur de la lumière, à Zao Wou-Ki, dont la peinture abstraite inspire sa sensibilité aux nuances et aux transparences. L’artiste n’éclaire pas : il sculpte. Qu’elle soit rasante ou diffuse, naturelle ou artificielle, la lumière devient langage. Elle modèle le réel, en révèle la texture et lui confère une profondeur émotionnelle rare. Cette approche confère à son travail une dimension sensorielle : ses photographies ne se regardent pas seulement, elles se ressentent.
L’instinct comme boussole intérieure
Se définissant comme un “capteur d’instants et d’émotions”, Philippe Gillotte s’inscrit dans la lignée d’Henri Cartier-Bresson, dont il partage la quête de l’« instant décisif », et la dimension profondément humaniste du regard. Il utilise souvent une focale fixe pour simplifier sa vision et se forcer à se déplacer, à chercher le bon angle, en privilégiant les ouvertures relativement grandes pour isoler son sujet et créer un flou d'arrière-plan qui met en valeur l'instant.
A la manière d’Elliott Erwitt, il trouve dans le quotidien une matière poétique et parfois ironique. Il joue d’une approche colorée et sensible de la composition, jouant sur les reflets et la suggestion. Chez lui, le geste photographique est un équilibre entre anticipation et lâcher-prise. L’instant décisif ne se planifie pas : il s’éprouve. L’artiste sait attendre, respirer avec la scène, guetter la lumière juste, le geste humain qui raconte une histoire. Dans ses séries de rue comme dans ses paysages, la spontanéité devient un art maîtrisé, un dialogue constant entre le visible et l’invisible.
Une expérience fondatrice
Avant de se consacrer pleinement à la photographie, Philippe Gillotte a passé plusieurs années dans les industries graphiques et les arts visuels. Cette immersion dans un univers où la précision technique, la gestion des couleurs et la maîtrise de la composition sont essentielles, a profondément nourri sa pratique artistique et a forgé chez lui une rigueur de regard et une culture de la justesse. C’est cette attention constante à l’équilibre entre forme et fond qui le nourrit d’une dimension analytique rare : une capacité à penser l’image autant qu’à la ressentir.
Une double culture : l’argentique et le numérique
La richesse de l’œuvre de Philippe Gillotte tient aussi à sa double appartenance : formé à l’argentique, il a traversé la révolution numérique sans renoncer à l’exigence du regard. L’argentique lui a appris la lenteur, la rigueur et la contemplation – des qualités partagées avec des photographes comme Lee Friedlander, dont la discipline de composition inspire son sens de la structure. Le numérique, en revanche, lui offre l’expérimentation et la liberté. Ce mariage rare entre tradition et modernité se retrouve dans ses images, où la précision technique n’éteint jamais l’émotion. Il perpétue d’ailleurs cette filiation par la pratique des procédés anciens (cyanotype, orotone, tirage au sel), affirmant une volonté de renouer avec la matérialité de l’image à l’heure du tout-écran.
La poésie du quotidien
Dans ses travaux de rue, le photographe parvient à transformer l’ordinaire en territoire poétique. Il s’attache à révéler la singularité de l’humain dans ses imperfections. Une silhouette, un reflet, une ombre sur un mur suffisent à faire surgir une narration. L’artiste agit ici comme un chorégraphe du hasard : il attend que la ville danse sous sa lumière. Sa photographie devient alors un miroir de l’humain, une méditation visuelle sur la beauté discrète des instants qui passent.
Une œuvre en mouvement
Philippe Gillotte revendique la liberté de créer dans des styles variés. Cette pluralité n’est pas dispersion, mais respiration. Elle traduit une curiosité inlassable, un refus de se figer. Chaque série, chaque sujet, chaque technique devient un territoire d’expérimentation, où le regard se renouvelle sans se trahir. Son univers visuel dialogue autant avec la photographie documentaire qu’avec le cinéma de Wim Wenders, pour la mélancolie du voyage, ou celui du chef opérateur Christopher Doyle, pour la sensualité de la lumière et la tension chromatique.
Son travail puise dans une conviction profonde, magnifiquement exprimée par Henry David Thoreau : "L'important n'est pas ce que l'on regarde mais ce que l'on voit."
Dans un monde saturé d’images, son œuvre invite à ralentir, à réapprendre à regarder. Et c’est peut-être là que réside sa modernité la plus forte : dans cette capacité à rendre à la vision sa part d’émerveillement.
